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Full text of "Vathek"

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1[ 



J^ Sd. 



TAYLOR INSTITUTION- 

BEQUEATHED 

TO THE UNIVERSITY 
ROBERT FINCH, M. A. 

OF BALLIOL COLLEGE, 



^c.^yrzi^ ^. (05 



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AT.ONUKKS; 

Chez ciarkk. New Bond strekt. 

tJil.î. 



JLiBS éditions de Paris et de Lausanne, étant derenu 
extrêmement rares, j'ai consenti enfin a ce que Ton 
republiât à Londres ce petit ouvrage tel que je 
l'ai composé. 

La traduction, comme on sçait, a paru avant 
l'original ; il est fort aisé de croire que ce n'etoit pas 
mon intention-— des c'u'constances, peu intéressantes 
pour le public, en ont été la cause. 

J'îd préparé quelques Episodes ; ils sont indiqués, 
à la page 200, comme faisant suite a Vathek — 
peut-être paroitront-ils un jour. 



W. BECKFORD. 

1 Juin, 1816. 



VATHEK. 



y ATHEE, neuvième Calife àe la racé 
deâ AbbassideSy étoit fils de Mota^^m, 
et petit-fils (THaroun Al-Rachid, Il monta 
sur le tr6ne à la fleur de son ^e. Le« 
grandes qualités qu^l possédoit déjà, M- 
soient espérer à ses peuples que son règne 
seroit long et heureux. Sa figure étoit 
Bgréable et majestueuse ; maiâ quand il 
étoit en colère, un de ses yeux devenoit 
si terrible qu'on n'en pouvoit soutenir le 
regard : le malheureux sur lequel il le 
fixoit tomboit à la renverse, et quelquefois 
même expil-oit à Fînstant Aussi, dans 
la crainte de dépeupler ses états et de 
faire un désert de son palais ce prince ne 
se mettoit en colère que très-rarement. * 

B 



( 2 ) 

Il étoit fort adonné aux femmes et aux 
plaisirs de la table. Sa générosité étoit 
sans bornes, et ses débauches sans retenue. 
Il ne croyoh pas comme Omar Ben Ab- 
dalazizy qu'il fallût se faire un^ênfer de 
ce monde, pour avoir le paradis dans 
Tautre. 

Il surpassa en magnificence tous ses 
prédécesseurs. Le palais d'Alkorrenoii 
bâti par son père Motassem sur la col^ 
line des chevaux pies, et qtâ commaur 
doit toute la ville de Samarah/ ne lui parut 
pas . assez vaste. Il y ajouta cinq ailes» 
ou plutôt cinq autres palais, et il destina 
chacun d'eux à la satisfaction d'un^ des sens. 

Dans Iç premier de. ces palais, les ta<- 
bles étoient toujours couvertes des mets 
les plus exquis. Ou les renouvelloit 
nuit et jour, à mes;i}re qu'ils se refroidr 
issoient. Les vins les plus délicats et les 
meilleures liqueurs, couloient à : grands 
âots de cent fontaines qui ne tarissoieoi 
jamais.i Ce palais s'appeloit le Festin 
éternel ou V Insatiable. 



( 3 ) 

On nommoit le second palais lé. Temple 
de la Mélodie^ ou le Nectar de F Ame. Il 
étoit habité par les premiers musicienB 
et poètes de ce temps, qui, se disper- 
sant par bandes, faisoient retentir tous les 
lieux d'alentour de leurs chants. 

Le palais nommé les Délices des yeux^ ou 
le Support de la mémoire^ étoit un enchante- 
ment continuel. Des raretés rassem- 
blées de toutes les parties du monde, s'y 
trouvoient en profusion et dans le plus bel 
ordre. On y voyoit une galerie de ta- 
bleaux du célèbre Mani, et des statues 
qui paroissoient animées. Là. uae per- 
spective bien ménagée charmoit la vue; 
ici, la magie de l'optique la trorapoit agré- 
ablement: autre part, on trouvoit tous les 
trésors de la nature* En un mot, Va- 
thek, le plus curieux des hommes, n'avoit 
rien omis dans ce palais de ce qui pouvoit 
contenter la curiosité de ceux qui le vir 
sitoient 

Le palais des Parfums^ qu'on appelloit 
aussi V Aiguillon de la Volupté^ étoit divisé 

b2 



( 4 ) 

en plusieurs salles. Des flambeatrx et 
des lampes aromatiques y étoient allumés, 
même en plein jour. Pour dissiper la- 
gréable ivresse que donnoit ce lieu, on des- 
cendoit dans un vaste jardin, où l'assem- 
blage de toutes les fleurs faisoit respirer 
un air suave et restaurant. 

Dans le cinquième palais, nommé le Ré-^ 
duit de la Joie^ ou le Dangereux ^ se trou- 
Toient plusieurs troupes de jeunes filles. 
Elles étoient belles et prévenantes comme 
les Houris, et jamais elles ne se lassoient 
de bien recevoir ceux que le Calife vou- 
loit admettre en leur compagnie. 

Malgré les voluptés dans lesquelles 
Vathek se plongeoit, ce prince n'en étoit 
pas moins aimé de ses peuples. On croyoit 
qu'un Souverain qui se livre au plaisir, 
est pour le moins aussi propre à gouverner 
que celui qui s'en déclare l'ennemi. Mais 
son caractère ardent et inquiet ne lui per- 
mit pas d'en rester là. Du vivant de son 
père il avoit tant étudié pour se désen- 
nuyer, qu'il savoit beaucoup; il voulût 



( 5 ) 

enfin tout approfondir, même les sciences 
qui n'existent pas. Il aimoit à disputer 
avec les savans ; mais il ne fallok pas qu'ils 
poussass^it trop loin la contradiction. 
Aux uns il fermoit la bouche par des pré- 
sens ; ceux dont . l'opiniâtreté résistoît à 
sa libéralité, étoient envoyés en prison 
pour calmer leur sang: remède qui sou- 
vent réussissoit. 

Vathek voulut aussi se mêler des que-* 
relies théologiques, et ce ne fut pas pour 
le pisuti généraleaxient regardé comme or- 
thodoxe qu'il se déclara. Il mit par-là 
tous les dévots contre lui: alors il les per- 
sécuta; car à quelque prix que ce fût, il 
voùloit toujours avoir raison. 

Le grand Prophète Mahomet, dont les 
Califes sont les Vicaires, étoit indigné 
dans le septième Ciel de la conduite ir- 
réligieuse d un de ses successeurs. Lais- 
sons-le faire, disoit il aux génies qui 
sont toujours prêts à recevoir ses ordres : 
voyons où ira sa folie et son impiété; 
s'il en fait trop, nous saurons bien le châ- 



( 6 ) 

Aidez-lui à bâtir cette tour qu'à 
FimitatioQ de Nembrod, il a commencé 
d'élever ; non comme ce grand guerrier 
pour se sauver d'un nouveau déluge, 
mais par l'insolente curiosité de pénétrer 
dans les secrets du Ciel. Il a beau faire, 
il ne devinera jamais le sort qui l'attend. 

Les génies obéirent ; et quand les ouv- 
riers élevoient durant le jour la tour d'une 
coudée, ils y en ajoutoient deux pendant 
la nuit. La rapidité avec laquelle cet 
édifice fut construit, flatta la vanité de 
Vathek. Il pensoit que même la matière 
insensible se prêtoit à ses desseins. Ce 
prince ne considéroit pas, malgré toute 
sa science, que les succès de l'insensé et 
du méchant, sont les premières verges 
dont Us sont frappés. 

Son orgueil parvint au comble lors- 
qu'ayant monté, pour la première fois, 
les quinze cents degrés de sa tour, il re- 
garda en bas. Les l.ommes lui paroissoi- 
ent des fourmis, les collines des taupini. 
ères, et Samarah une ruche d'abeilles. 



( 7 ) 

L'idée que cette élévation lui donntt "dé 
sa propre grandeur, acheva de lui tourna 
la tête. Il alloit s'adorer lui-même, lors- 
qu'en levant les yeux H s'apperçut que 
les astres étoient aussi éloignés de lui 
que lorsqu'il etoit au niveau de la terre. 
Il se consola cependant du sentiment in- 
volontaire de sa petitesse, par l'idée de 
paroitre grand aux yeux des autres. Il 
se flatta que les lumières de son esprit 
surpasseroient la portée de ses yeux, et 
qu'il feroit rendre compte aux étoiles des 
arrêts de sa destinée. 

Pour cet efiet, U passoit la plupart des 
nuits sur le sommet de sa tour, et se 
croyant initié dans les mystères astrolo- 
giques, il s'imagina que les planètes lui 
annonçoient de merveilleuses aventures. 
Un homme extraordinaire devoit venir 
d'un pays dont om n'avoit jamais entendu 
parler, et en être le héraut. Alors, il re- 
doubla d'attention pour les étrangers, et 
fit ^ publier à son de trompe dans les rues 
de Samarah, qu'aucun de ses sujets n'eût 



( 8 ) 

à retenir ni à log^ les voyageurs ; il toûak 
ioit qa'ou les amenât tous dai^s son palais; 

Quelque t^ms après cette proelamatiQn, 
parut un homme dont la figure étoit si 
èfroyablè, que les gardes qui s'en empa^ 
réreut forent oWigés. de fermer les yeux en 
le conduisant au^ palais* Le Calife lui* 
même parut étonné à son horrible aspect; 
mais la joie succéda bientôt à cet: effroi 
iuTolontaire. L'inconnu étala devait '4e 
prince des raretés- telles qu'il n^en avoit 
Jamais vues, et dont'il n'avoit pas même 
conçu la possibilité. 

Rien,' en effet, n'étoit plus extraordi- 
lBiai|?e que- les marchandise^ dé l'étranger. 
La plupart de ses bijoux étoient-^ aussi 
bien travaillés que ms^ifiques. Us avoi-* 
eut outre cela une vertu particulière^ dé- 
crite siur un rouleau de parchemin attaché 
à chaque ^ pièce. Des pantoufles par leur 
mouvements spontanées epargnoient. la 
fatigue de marcher; des couteaux cou- 
doient sans le mouvement de la main ;^ et 
des sabres portoiait le coup d euxmême 
au moindre geste. 



< 9 ) 

Parmi ces cariosités inconcevables les 
sabres surtout, dont les lames jettoient un 
feu éblouissant, fixèrent Fattention du 
Calife qui se promettoit de déchiffrer à 
loisir des caractères iïiconnus qu'on y 
avoit gravés. Sans demander au march- 
and quel en étoit le prix, il fit apporter 
devant lui tout Tor monnoyé du trésor, et 
lui dit de prendre ce qu'il voudroit. Ce- 
lui-ci prit peu de chose, et en gardant un 
profond silence. 

VaAek ne douta point que lé silence 
de rinconnu ne fût causé par le respect 
que lui inspiroit sa présence. Il le fit 
avancer avec bonté, et lui demanda d'un 
air affable qui il étoit, d'où il venoit, et 
^ù il avoit acquis de si belles choses? 
L'homme, ou plutôt le monstre, au lieu 
de répondre à ces questions, frotta trois 
fois son front plus noir que Fébène, frappa 
quatre fois sur son ventre dont la cir- 
conférence étoit énorme, ouvrit de gros 
yeux qui < paroissoient deux charbons ar- 
dens, et se mit à rire avec un bruit affreux 



i 

* 



( 10 ) 

€& montrant de larges dent^ couleur 
d'ambre rayés de verd. 

Le Calife» un peu ému, répéta sa de- 
mande ; mais il ne reçut pas d'autre ré- 
ponse. Alors, ce prince commença à 
s'impatienter, et s'écria: sais-tu bieu, 
malheureux, qui je suis, et de qui. tu 
te joues? £t s'adressant à ses gardes, 
il leur demanda s'ils l'avoient entendu 
parler ? Ils répondirent qu'il avoit parlé, 
mais que ce qu'il avoit dit n'étoit pas 
grand'cbose« Qu'il parle donc encore, 
reprit Vathek, qu'il parle comme il 
pourra, et qu'il me dise qui il est, d'où il 
vient, et d'où il a apporté les étranges 
curiosités qu'il m'a offertes ? Je jure par 
l'âne de Balaam que s'il se tait davantage, 
je le ferai repentir de son obstination. En 
disant ces mots, le Calife ne put s'empê- 
cher de lancer «ur l'inconnu un de ses re- 
gards dangereux : celui-ci n'en perdit pas 
seulement contenance; l'ϔl terrible -et 
-meurtrier ne fit aucun effet sur lui. 

On ne sauroit exprimer l'étonnemait 



î^ 






( 11 ) 

dés courtisans, quand ils s'apperçurewt 
que rincivil marchand soutenoit une telle 
épreuve. Ils s'étoient tous jettes la face 
contre terre, et y seroient restés, si le 
Calife ne leur eût dit d'un ton furieux: 
levez-vous', poltrons, et saisissez ce misé* 
rable ! qu'il soit traîné en prison et gardé 
à vue par mes meilleurs soldats ! Il peut 
emporter avec lui l'argent que je viens de 
lui donner; qu'il le garde, mais qu'il 
parle. A ces mots, on tomba sur Tétran* 
ger ; on le garrotta de fortes chaînes, et 
on le conduisit dans la prison de la grande 
tour. Sept enceintes de barreaux de fer, 
garnis de pointes aussi longues et aussi 
acérées que des broches, Tenvironnoient 
de tous côtés. 

Le Calife demeura cependant dans la 
plus violente agitation; â peine voulut-il 
se mettre à table, et ne mangea que de 
trente-deux plats sur les trois cents qu'on 
lui servoit tous les jours. Cette diète, à 
laquelle il n'étoit pas accoutumé, Fauroit 
seule ^empêché de dormir. Quel effet ne 



( 12 ) 

ânt-elli^ pas avoir, étant jointe à rinqnié^ 
tudé qui le tourmeutoit ! Aussi, dés qu'il 
fat jour, il courut à la prison pour &ire 
de nouveaux efforts auprès de l'opiniâtre 
inconnu. Mais sa rage ne sauroit se dé- 
crire quand il vit qu'il ny étoit plus, que 
les grilles de fer êtoient brisées, et le» 
gardes sans vie. Le plus étrange délire 
s'empara de lui. Il se mit à donner de 
grands coups de pied aux cadavres qui 
Tentouroient, et continua tout le jour à 
les frapper de la même manière. Ses 
courtisans et ses visirs firent tout ce qu'ikr 
purent pour le calmer; mais voyant qu'ils 
n'en pouvoient venir à bout, ils s'écriè- 
rent tous ensemble : le Calife est devenu 
fou ! le Calife est devenu fou ! 

Ce cri fut bientôt répété dans toutes les 
rues de Samarah: 11 parvint enfin aux 
oreaie8 de la princesse C^his, mère de 
Vàthek. Elle accourut toute alarmée, 
pour essayer le. pouvoir qu'elle avoit sur 
l'esprit de son fils. 6es pleurs et ses 
embrassemens réussirent à le calmer; et 



(13 ) 

CêdaQt bientôt à nés instances, il se laissa 
ramener dans son palais^ 

Garathis n'eut garde d'abandonner son 
fils à l)ii-même.' Après qu'elle l'eut fait 
mettre au lit, elle s'assit auprès de lui, 
et tftcba par ses, discours de le consoler 
et de le tranquilliser. Personne ne pou- 
Toit mieux y parvenir* Vathek l'aimoit et 
la respectoit^ non-seulement comme une 
mère, mais encore comme une femme 
douée d'un génie supérieur. Elle étoit 
Grecque, et lui avoît fait adopter touei 
les systèmes et les sciences de ce peuple, 
en horreur parmi les bons Musulmans. 

L'astrologie judiciaire étoit une de 
ces sciences, et Garathis la possédoit 
parfaitement. Son premier soin fut donc 
de faire ressouvenir son fils de ce que 
les étoiles lui avoient promis, et elle pro- 
posa de lés consulter encore. Hélas! 
lui dit le Galife, dès qu'il put parler, je 
suis un insensé, non d'avoir donné qua- 
rante mille coups de pied à mes gardes, 
qui se sont sottement laissé mourir ; maia 



f 



( 14 ) 

parce que je n'ai pas réfléchi que cet 
homme extraordinaire étoit celui que le», 
planètes m'avoient annoncé. Au lieu de 
le maltraiter, j'aurois dû essayer de le 
gagner par la douceur et les caresses. 
Le passé ne peut se rappeller, répondit; 
Carathis ; il faut songer à l'ayenir. Peut-, 
être verrez-vous encore celui que vous 
regrettez ; peut-être ces écritures qui sont 
sur les lames des sabres, vous en ap- 
prendront des nouvelles. Mangez et dor-. 
mez, mon cher fils; nous verrons demain 
ce qu'il y faudra faire. 

Yathek suivit ce sage conseil, du mieux 
qu'il put. Le lendemain, il se leva dans 
une meilleure situation d'esprit, et se fit 
aussi-tôt apporter les sabres merveilleux. 
Afin de n'être pas ébloui par leur éclat, 
il les regarda au travers d'un verre co- 
loré, et s'ejflTorça d'en déchiflTrer les ca- 
ractères ; mais ce fut en vain : il eut 
beau se frapper le front, il ne connut pas 
une seule lettre. Ce contretems l'auroît 
fait retomber dans ses premières fureurs, 
si Carathis n'étoit entrée à propos. 



( 15 > 

Prenez patience» mon fils, lui dit-elle; 
vous possédez assurément toutes les. sci-< 
ences. Connoître les langues est une ba*; 
gatelle.du ressort des pédans. Promettez 
des récompenses dignes de vous à ceux 
qui expliqueront ces mots barbares que 
vous n'entendez pas, et qu'il est au-des- 
sous de vous d'entendre ; bientôt vous se- 
rez satisfait. Cela peut être, dit le Ca- 
life; mais en attendant je serai excédé 
par une foule de demi-savans, qui feront 
cet essai autant pour avoir le plaisir de 
bavarder, que pour obtenir la récom- 
pense. Après un moment de réflexion, 
il ajouta ; je veux éviter cet inconvénient. 
Je ferai mourir tous ceux qui ne me satis- 
feront pas ; car, grâces au Ciel, j'ai as- 
sez de jugement pour voir si l'on traduit, 
ou si l'on invente. 

Oh ! pour cela, je n'en doute pas, ré- 
pondit Carathis. Mais faire mourir les 
ignorans est une punition un peu sévère, 
et qui peut avoir de dangereuses consé- 
quences. Contentez-vous de leur faire 



( 16 ) 

IbrMer la barbe; les barbes. ne sont pas 
aiïssi nécessaires dans un état que les 
hommes. Le Calife se retidit encore aux 
raisons de sa mère, et fit appeller s<ki pre- 
mier Visir. Morakanabad, lui dit4l, fais 
annoncer par un crieur public, dans Sa- 
marah, et dans toutes les villes de mon 
empire, que celui qui déchiffrera des ca- 
ractères qui paroissent indéchiffrables^ 
aura des preuves de cette libéralité con- 
nue de tout le monde ; mais qu'au défaut 
de succès, on lui brûlera la barbe jus- 
qu'au moindre poil. Quon publie aussi 
que je donnerai cinquante belles esclaves, 
et cinquante caisses d'abricots de l'isle 
de Kirmith, à qui m'apprendra des nou- 
velles de cet homme étrange que je veux 
revoir. 

Les sujets du Calife, à l'exemple de 
leur maître, aimoient beaucoup les femmes 
et les caisses d'abricots de l'isle de Kir^ 
mith. Ces promesses leur firent venir 
l'eau à la bouche, mais ils n'en tâtèrent 
pas; car personne ne savoit ce qu'étoit 



. ( IT ) 

devenu l'étranger. Il n'en fut pas de 
même de la première demande du Calîfe/ 
Les savans, les demi-savans, et tous ceux 
qui n'étoient ni l'un ni l'autre, mais qui 
croyoient être tout, vinrent courageuse^ 
ment hasarder leur barbe, et tous la per- 
dirent. Les eunuques ne faisoient autre 
chose que de brûler des barbes ; ce qui' 
leur donnoit une odeur de roussi, dont le»- 
femmes du sérail se trouvèrent si incom- 
modées, qu'il fallut donner cet emploi a 
d'autres. 

Enfin, un jour il se présenta un vieil- 
lard dont la barbe surpossoit d'une cou- 
dée et demie toutes celles qu'on avoit 
vues. Les oflBciers du palais, en l'intro- 
duisant, se disoient l'un à l'autre; quel 
dommage! quel grand dommage de brû- 
ler une aussi belle barbe ! Le Calife peu- 
soit de même ; mais il n'en eut pas le cha-» 
grin. Le vieillard lut sans peine les ca- 
ractères, et les expliqua mot-à-mot de la 
manière suivante : " Nous avons été faits 
là où Ton fait tout bien ; nous sommes la 

c • 



^É^âÉSÉÉtiteMiaMyM 



( 18 ) 

mbindre dés mèrveSiles d'une région où 
tout est merveilleux et digne du plus 
%rand Prince de la terre." 

Okl tu as parfaitement bien tradiiit, 
s'écria Vathek ; je connois celui que ces 
caractères veulent désigner. Qu'on donne 
à ce vieillard autant de robes d^honneur et 
autant de mille sequins qu'il a prononcé 
de mots : il a nettoyé mon cœur dHme 
partie du surnié qui l'envelopoit. Après 
ces paroles, Vathek l'invita à diner, et 
même à passer quelques jours dans sod 
pàlaiis. 

Le lendemain le Calife le fit appeller, et 
lui dit: relis-môi encore ce que tu m'as 
lu ; je ne saurais trop entendre ces paroles 
qui semblent me promettre le bieù après 
lequel je soupiré. Aussi-tôt le vieillard 
mit ses lunettes vertes. Mais elles lui 
tombèrent du nez, lorsqu'il apperçut que 
les caractères de la veille avoient fait place 
à d'autres. Qu'as-tu ? lui demanda le Ca- 
life; que signifient ces marques d'étonné- 
ment? — ^Souverain du monde, les caractères 



fie ces sabres ne sont plus les naémes. — 
Que me dis-tu ? reprit Vathek ; mais n'im- 
porte ; si tu peux, explique-m'en la si- 
gnification. La Toici, Seigneur, dit le 
yieillard: ^'Malheur au téméraire qui 
Teut savoir ce qu'il devroit ignorer, et 
entreprendre ce qui surpasse s<m pou- 
voir." Malheur à toi-même! s'écria le 
€alife, tout hors- de lui. Sors de ma 
présence ! On ne te brûlera que la moitié 
de la barbe, parce qu'hier tu devinas bien ; 
quant à mes presens, je ne reprends ja- 
mais ce que j'ai donné. Le vieillard, assez 
sage pour penser qu'il étoit quitte à boa 
marché de la sottise qu'il avoit faite 
en disant à son Maître une vérité désa- 
gréable, se retira aussi-tôt, et ne reparut 
plus. 

Vathek ne tarda point à se repentir de 
son impétuosité. Comme il ne cessoit 
d'examiner ces caractères, il s'apperçut 
bien qu'ils changeoient tous les jours; et 
personne ne se présentoit pour les expli- 
quer. Cette inquiète occupation enflamma 

c 2 



'( 20 ). 

son sang, lui causa des vertiges^ dei^ 
éblouissemens, et uoe si grande foiblesse 
qu'à peine il pouvait se soutenir: dans 
cet état, il ne laissoit pas de se faire 
porter à la tour, espérant lire : quelque 
chose d'agréable dans les astres ; mais 
«on espoir fut trompé. Ses yeux, of- 
fusqués par les vapeurs de sa tête, le- 
servoient mal : il ne voyoit plus qu'un 
nuage noir et épais ; augure qui lui sem* 
bloit des plus funestes. 

Harassé de tant de soucis, le Calife 
perdit entièrement courage. Une soif 
surnaturelle le consuma ; et sa bouche, 
ouverte comme un entonnoir, recevoit 
jour et nuit des torrens de liquides. Alors, 
ce malheureux prince ne pouvant goûter 
aucun plaisir, fit fermer les palais . de» 
cinq sens, cessa de paroître en public, 
d'y étaler sa magnificence, de rendre 
justice à ses peuples, et se retira dan» 
l'intérieur du sérail. 11 avoit toujours 
été bon mari ; ses femmes, se désolèrent 
de son état, ne se lassèrent point de faire 



( 21 ) 

des vœux pour sa santé, et de lui donner 
à boire. 

Cependant la princesse Carathis étoit 
dans la plus vive douleur. Elle se ren- 
fermoit tous les jours avec le visir Mora- 
kanabad, pour consulter sur les moyens dé 
guérir, ou du moins de soulager le malade. 
Persuadés qu'il y avoit de l'enchantementi 
ils feuilletoient ensemble tous les livres* 
de magie, et faisoient chercher par-tout 
l'horrible étranger qu'ils aceusoient d'être 
l'auteur du charme. * 
• A quelques milles de Samarah, étoit 
une haute montagne couverte de thym et 
de serpolet; une plaine délicieuse en 
couronnoit le sommet; on l'auroit prise 
pour le paradis destiné aux fidèles 
Cent bosquets d'arbustes odoriféraus, 
oii l'oranger le cédrat et le citronnier 
s'entrelaçoient avec le palmier et la 
vigne, offroient de quoi satisfaire égale- 
ment le goût et l'odorat. La terre y 
étoit jonchée de violettes ; des touffes 
de giroflées embaumoient l'air de leurs 



( «2 ) 

doux paffuius. Quatre source^ claires^ 
et si abondantes qu'elles auroient pu 
désaltérer dix armées, ne çenibloient 
couler eu ce lieu que pour mieux 
imiter le jiirdin d'Ëdeu arrosé des fleuves 
sacrés* Sur leur$ bords verdoyants, 
le rossigqol chauto^ la naissance da la 
rose, sa bie»-aiu»ée, et so plaignoii du 
peu de durée de ses qhamaes ; la tourte- 
relle déploi'oit la perte de plaisirs plus 
réels, tandis que Talouette saluoit par «eè 
chants la lumière qui ranime la nature* 
Là, plus qu'eu aucun lieu du monde, le 
gazouillement des oiseaux exprimoit leurs 
diverses passions ; les fruits délicieux 
qu'ils béquetoient à plaisir, sembloieut 
leur donner une double énergie. 

On portoit quelquefois Yathek sur cette 
montagne, afin qu'il pût y respirer un air 
pur, et boire à son gré des quatre sources» 
Sa mère, ses femmes et quelques eunu'^ 
ques étoient les seules personnes qui l'aC'* 
compagnoient. Chacun s'empressoit à rem^ 
|>lir de grandes coupes de crystal de roche^ 



( 23 ) 

et les lui présentoit à TeuTi ; mais leur zèle 
ne rêpondoit pas à son avidité ; souvent il 
se couchoit par terre, pour lapper l'eau. 

Un jour que le déplorable prince étoit 
resté long-temps dans une posture aussi 
vile, une voix rauque, mais forte, se fit en- 
tendre^ et l'apostropha ainsi : ^^ Pourquoi 
fhis-tu l'exercice d'un chien, 6 Calife si 
fier de ta dignité et de ta puissance ?" A 
ces mots, Yathek lève la tète, et voit 
l'étranger, cause de tant de peines. A 
eette vue il se trouble, la colère enflamme 
son cœur ; il s'écrie : et toi, maudit Gia- 
ourî que viens-tu faire ici? N'es-tu pas 
content d'avoir rendu un prince agile et 
dispos, semblable à une outre ? Ne vois- 
tu pas que je meurs autant pour avoir 
trop bâ, que du besoin de boire ? 

Bois donc encore ce trait, lui dit l'é- 
tranger, en lui présentant un flacon rempU 
d'une liqueur rougeàtre; et sache pour tarir 
la soif de ton ame» après celle du corps» 
que je suis Indien, mais d'une regiog 
de rinde qui n'est coimue de p^somie* 



r 
I 



-'- - - - 



( 24 ) 

Ces mots furent un trait de lumière pour 
le Calife. C'ètoît l'accomplissement d'une 
partie de ses désirs ; et se flattant qu'ils 
alloient être tous satisfaits, il prit la li- 
queur magique et la but sans hésiter. A 
l'instant il se trouva rétabli, sa soif fut 
étanchée, et ^on corps devint plus agile 
que jamais. Sa joie fut alors extrême ; il 
saute au col de l'effroyable Indien, et 
baise sa vilaine bouche béante et baveuse 
avec autant d'ardeur qu'il auroit pu baiser 
tes lèvres de corail de ses plus belles 
femmes. 

Ces transports n'auroient pas fini, si 
l'éloquence de Carathis n'eût ramené le 
calme. Elle engagea son fils à retourner 
à Samarah, et il s'y fit précéder par un 
héraut qui crioit de toutes ses forces: le 
merveilleux étranger a reparu, il a guéri 
Jie Calife, il a parlé, il a parîé ! 

Aussi-tôt, tous les habitans de cette 
gi*ande ville sortirent de leurs maisons; 
Grands et petits couroient en foule pour' 
iroir passer YaXhek eit l'Indien. Ils ne se 



( 25 ) 

lassoient point de répéter : il a guéri notre 
Souverain, il a parlé, il a parlé! Ces 
mots devinrent ceux du jour, et ne furent 
point oubliés dans les fêtes publiques 
qu'on donna le soir même en signe de ré- 
jouissance ; les poètes en firent le refrain 
de toutes les chansons qu'ils composèrent 
sur ce beau sujet. 

Alors, le Calife fit rouvrir les palais des 
sens ; et comme il étoit plus pressé dé 
visiter celui du goût qu'aucun autre, il or- 
donna qu'on y servît un splendide festin; 
auquel ses favoris et tous les grands offi^ 
cîers furent admis. L'Indien, placé à <t(S\.k 
du Calife, feignit de croire que pour méri- 
ter autant d'honneur, il ne pouvoit trop 
manger, trop boire, ni trop parler. Les 
mets disparoissoient de la. table aussi-tôt 
qu'ils étoient servis. Tout le monde lé 
regardoit avec étonnement : mais l'Indien, 
sans faire semblant de s'en appercevoir^ 
buvoit des rasades à la santé de chacun,- 
chàntoit à tue-tête, contoit des histoires 
dont il rioit lui même à gorge déployée, 



( 26 ) 

et faisoit des impromptus qu'on auroit ap=- 
plaudis, s'il ne les eût pas déclamés avec 
des grimaces affreuses : durant tout le 
repas» il ne cessa de bavarder autant que 
viiigt astrologues, de manger plus que 
cent porte-faix, et de boire à propor* 
tion. 

Malgré qu'on eût couvert la table 
trente-deux fois, le Calife avoit souffert 
de la voracité de son voisin. Sa pré* 
sence lui devenoit insupportable, et il 
pouvoit à peine cacher son humeur et son 
inquiétude ; enfin il trouva le moyen de 
dire à l'oreille du chef de ses eunuques ; 
tu vois,, Bababalouk, comme cet homme 
fait tout en grand. Va, redouble de vigi-? 
lance, et surtout prends garde à mes Cir- 
cassiennies. 

, L'oiseau du matin avoit trois fois reiiou* 
Telle so^i chant, lorsque l'heure dn Divan 
sonQa. Yathek avoit promis d'y présider 
en personne. Il se lève de table, et s'ap- 
puie sur le bras de son visir ; plus étourdi 
ijlu tapage de sou bruyant convive que du 



( 27 ) 

rin qu^il avoit bu, ce pauvre prince pôu* 
voit à peine se soutenir. 

Les visirs, les officiers de la Couronne, 
les gens de loi se rangèrent autour de leur 
souverain en demi-cercle, et dans un re- 
spectueux silence; tandis que l'Indien^ 
avec autant de sang-froid que sll avoit 
été à jeun, se plaça sans façon sur une 
des marches du troue, et rioit sous cape 
de l'indignation que sa hardiesse causoit 
à :tous les spectateurs. 

Cependant le Calife, dont la tête étoit 
embarrassée, rendoit justice à tort. et à 
travers. Son premier visir s'en apperçut, 
et s'avisa tout-à-coup d'un expédient pour, 
interrompre l'audience et sauver l'honneur 
de son maître. Il lui dit tout bas : Seig* 
neur, la princesse Caratbis a passé la nuit 
à consulter les planètes; elle vous fait 
dire que vous êtes menacé d'un danger 
pressant. Prenez garde que cet étranger 
dopt vous payez quelques bijoux roa« 
giques par tant d'égards, n'ait attenté a 
votre vie. Sa liqueur a paru vous gué- 



( 28 ) 

rir; ce n'est peut-être qu'un poison dont 
l'efFet sera soudain. Ne rejetiez pas ce 
soupçon ; demandez-lui dii moins comme 
elle est composée, où il l'a prise, et faîtes 
mention des sabres que vous semblez 
avoir oubliés. 

Excédé des insolences de l'Indien, Va- 
thek répondit à son visir par un signe de 
tête, et s'adressant à ce monstre : lève-toî; 
lui dit-il, et déclare en plein Divan de 
quelles drogues est composé la liqueur 
que tu m'as fait prendre ; débrouille sur- 
tout l'énigme des sabres que tu m'as ven- 
dus : et reconnois ainsi les bontés dont 
je t'ai comblé. 

Le Calife se tut après ces paroles qu'il 
prononça d'un ton aussi modéré qu'il lui 
fut possible. Mais l'Indien, sans répon- 
dre ni quitter sa place, renouvella ses 
éclats de rire et ses horribles grimacesi 
Alors Vathek ne put se contenir; d'un 
coup de pied il lé jette de lestrade, le 
suit, et le frappe avec une rapidité qui 
excite tout le Divan à l'imiter. Tous leg 



( 29 ) 

pieds sont en l'air ; on ne lui a pas donnéi 
un coup qu'on ne se sente forcé de re- 
doubler. 

L'Indien prétoit beau jeu. Comme il 
étoit court et gros, il s'étoit ramassé en, 
boule, et rouloit sous les coups de ses 
assaillanSy qui le suivoient par-tout avec 
un acharnement inoui. Roulant ainsi 
d'appartement en appartement, de cham- 
bre en chambre, la boule attiroit après 
elle tous ceux qu'elle rencontroit. Le par 
lais en confusion retentissoit du plus 
épouvantable bruit. Les sultanes effrayées 
regardèrent à travers leurs portières; et 
dès que la boule parut^ elles ne purent se 
contenir. En vain pour les arrêter, les 
eunuques les pinçoient j usqu'au sang ; 
elles s'échappèrent de leurs mains : et ces 
fidèles gardieps, presque morts de frayeur, 
ne pou voient eux-mêmes s'empêcher de 
suivre à la piste la boule fatale. 

Après avoir ainsi parcouru les salles, 
les chambres, les cuisines, les jardins et len 
écuries du palais, l'Indien prit enfin le 



( ^ ) 

chemin des cours. Le Calife, plus a-* 
charné que les autres, le suivoit de près, 
et lui lançoit autant dé coups de pied 
qu'il pouToit : son zèle fut cause qu'il re* 
çut lui-même quelques ruades adressées à 
la boule. 

Carathis, Morakanabad, et deux ou 
trois autres- visirs dont la sagesse avoit 
jusqu'alors résisté à l'attraction générale, 
voulant empêcher le Calife de se donner 
en spectacle, se jettèrent à ses genoux 
pour l'arrêter; mais il sauta par dessus 
leurs têtes, et continua sa course. Alors, 
ils ordonnèrent aux Muézins d'appeller le 
peuple à la prière, tant pour l'ôter du 
chemin, que pour l'engager à détourner 
par ses vœux une telle calamité ; tout fut 
inutile. Il suffisoit de voir cette infernale 
boule pour être attiré après elle. Les 
Muézins eux-mêmes, quoiqu'ils ne la vis- 
sent que de loin, descendirent de leurs 
minarets, et se joignirent à la foule. Elle 
augmenta au point, que bientôt il ne resta 
dans les maisons de Saniarah que des pa- 



( 31 ) 

ralytiqties, des culs-de-jatte, des mourans, 
et des enfons à la mamelle dont les nour- 
rices s'étoient débarrassées pour courir 
plus Vite : Carathis elle-même, Morakana- 
bad . et les autres s'étoient enfin mis de la 
partie. Les cris des femmes échappées 
de leurs sérails ; ceux des eunuques s'ef- 
forçant de ne pas les perdre de vue ; les 
juremens des maris, qui, tout en courant, 
se menaçoient les uns les autres; les coups 
de pied donnés et rendus ; lès culbutes à 
i^haque pas, tout enfin rendoit Samarah 
Semblable à une ville prise d'assaut et 
livrée au pillage. Enfin, le ipaudit In- 
dien, sous cette forme de boulé, après* 
avoir parcouru les rues, les places publi- 
ques, laisisa la ville déserte, prit la route 
4e la plaine de Catoul, et enfila une val- 
lée au pied de la montagne des quatre 
sources. 

L'un des côtés de cette vallée étoit 
bordé d une haute colline ; de l'autre étoit 
un gouffre épouvantable formé par la 
chute des eaux. Le Calife et la multi* 



i 



( 32 ) 

tude qui le suivoit craignirent que la 
boule n'allât s'y jetter et redoublèrent d'ef- 
forts pour l'atteindre, mais ce fut en vain ;. 
elle roula dans le gouffre, et disparut 
comme un éclair. 

Vathek se seroit sans dQute précipité 
après le perfide Giaour, s'il n'avoit été 
retenu comme par une main invisible. La. 
foule s'arrêta aussi; tout devint calme. 
On se regardoit d'un air étonné ; et mal-r 
gré le ridicule de cette scène, personne 
ne rit. .Chacun, les yeux baissés, l'air 
confus et taciturne, reprit le chemin de 
Samarah, et se cacha dans sa maison^^ 
sans penser qu'une force irrésistible poii- 
voit seule porter à l'extravagance qu'on se 
reprochoit; car il est, juste que les h om-, 
mes qui se glorifient du bien dont ils ne, 
sont que les instrumens, s'attribuent aussi 
les sottises qu'ils n'ont pu éviter. 

Le Calife seul, ne voulut pas quitter la 
vallée. 11 ordonna qu'on y dressât ses 
tentes; et, malgré les représentations de 
Carathis et de Morakanabad, il prit son. 



( 33 ) 

poste aux bords du goaffre. On avoit 
beau lui représenter qu'en cet endroit le 
terrein pouvoit s'ébouler, et que d'ailleurs, 
il étoit trop près du magicien; leurs re* 
montrances furent inutiles. Après avoir 
fait allumer mille flambeaux, et com- 
mandé qu'on ne cessât d'en allumer, il 
S'étendit sur les bords fangeux du préci- 
pice, et tâcha, à la faveur de ces clartés 
artificielles, de voir au travers des ténè- 
bres, que tous les feux de l'empirée n'au- 
roient pu péuétrer. Tantôt il croyoît en- 
tendre des voix qui partoient du fond de 
l'àbyme, tantôt il s'imaginoit y démêler 
les accens de l'Indien; mais ce n'étoit que 
le mugissement des eaux, et le bruit des 
cataractes qui tomboient à gros bouillons 
des montagnes. 

Yathek passa la nuit dans cette violente 
situation. Dès que le jour commença à 
poindre, il se retira dans sa tente, et là, 
sans avoir rien mangé, il s'endormit, et 
ne se réveilla que lorsque l'obscurité vint 
couvrir l'hémisphère. Alors, il reprit le 

D 



( 34 ) 

poste de la veille, et ne le quitta pas de 
plusieurs nuits.- Op le voyoit uaarcher à 
grands pas et regarder les étoiles d'un aiiv 
furieux, comme s'il leur reprochoit de 
l'avoir trompé. 

Tout-à-coup, depuis la vallée jusqu'au^ 
delà de Samarah, l'azur du Ciel s'entre* 
mêla de longues rayes de sang : cet hor^ 
FÎhle phénomèue sembloit . toucher à li^ 
grande tour. Le Galife voulut y monter; 
mais ses forces l'abandoBnèrent : et, transi 
de frayeur, il se couvrit la tête du pan de 
sa robe. 

Tous ces prodiges effrayans ne faisoient 
qu'exciter ^sa curiosité. Ainsi, au lieu de 
rentrer en lui-même, il persista dans le 
dessein, de rester où l'Indien avoit dis^ 
paru. 

Une nuit qu'il faisoit sa promenade so- 
litaire 4ans la platine, la lune et les étoiles 
s'éclipsèrent subitement ; d'épaisses ténè*^ 
bres succédèrent à la lumière, et il ^i- 
tendit sortir de la terre qui trembloit, la 
voix du.Giapur, criant avec un bruit plus 



( 35 ) 

tort que le tonnerre : *' Veux-tu té donner 
à moi, adorer les influences terrestres, et 
renoncer à Mahomet ? A ces conditions» 
je t'ouvrirai le palais du feu souterreiu* 
Là, sous des voûtes immenses^ tu verras 
les trésors que les étoiles t'ont promis ; 
c'est de là que j'ai tiré mes sabre$9; c'est 
là où Suleïmati, fils de t>aoud» repoi^è 
eilvironné des talismans qui subjuguent le 
monde." 

Le Calife étonné répondit en frénfiisi^atit, 
mais pourtant du ton d'un homme qui se 
faisoit aux aventures surnaturelles t 06 €?*- 
tu ? parois à mes yeux ! dissipe ces ténè- 
bres dont je suis las! Après avoir bràlé 
tant de flambeaux pour te découvrir, é^est 
bien le moins que tu me montres ton ef- 
froyable visage. Abjure donc Mahomet» 
reprit l'Indien ; donne-moi des preilves de 
ta sincérité, ou jamais tu ne me verras. 

Le malheureux Calife promit tout. 
Aussi-tôt le Ciel s'éclàircit, et à la lueut* 
des planètes qui sembloient enflammées, 
Vathek vit la terre entrouverte. An fond 

J> 2 



( 36 ) 

paroissoit mi portail d'ébène* Llndién 
étendu devant, tenoit en sa maîn une clef 
d'or; et la faisok résonner contre la ser- 
rure. 

Ah ! s'écria Vatfaek, comment puisr-je 
descendre jusqu'à toi? Viens me prendre, 
et ouvre ta porte au plus vite. Tout beau, 
répondit l'Indien: sache que j'ai grand'- 
soif, et que je ne puis ouvrir qu'elle ne 
8oit étanchée. Il me faut le sang de cin- 
quante énfansL: prends-les parmi ceux 
de tes visirs, et des grands de ta Cour. 
Autrement, ni ma soif ni ta curiosité ne 
seront satisfaites. Retourne donc à Sa- 
marah; apporte-moi ce que je désire; 
jette-le toi-même dans ce gouffre ; et puis 
tu verras. 

Après ces paroles, l'Indien tourna te 
dos; et le Calife, inspiré par les démons, 
se résolut au sacrifice affreux. Il fit donc 
semblant d'avoir repris sa tranquillité, et 
s'achemina vers S'amarah aux acclama- 
tions d^un peuple qui l'aimoit encore. Il 
dissimula si bien le trouble involontaire 



( sr ) 

dje son àme» que Carathis et Morakanabad 
y furent trompés ^oimne les autres. On 
ae parla plus que de fêtes et de réjouis- 
sances. On mit même sur le tapis l'his- 
toire de. la boule^ dont personne n'avoit 
encore osé ouvrir la bouche : par4out on 
en rioit; cependant tout le monde ti'avoit 
pas SM^t d'en rire. Plnsîenrs étuient eu^ 
€ore entre les mains des cinrargiens à la 
suite des blessuries reçues dans cette mé* 
morable aventure. 

Vathek étoit très-aise qu'on le prît sur 
ce ton, parce qu'il voyoit que cela le con- 
duiroit À ses abominables fins. Il avoit 
un air afiable avec tout le monde, 8ur4;out 
afvec ses «visirs et les grands de sa Cour* 
Le. lendemain, il les invita à un repas 
somptueux. Peu-<à-peu il fit tomber la 
conversation sur leurs enfans, ,et demanda 
d'un air de bienveillance qui d'entr'eux 
avok les plus jolis garçons? Aussi-tôt, 
chaque père s'empresse A mettre les sien^ 
au-dessus de ceux des autres. La dispute 
s'échaufia; on en seroit venu aux mains 



( 38 ) 

«ans la présence du Calife qui fe%oit de 
vouloir en juger par lui-mêiBe. 

Bieutôt on vit arriver une foaude de ces 
pauvres eofaus. La tendresse maternelle 
les avoit ornés de tout ce qui pouvoit re»" 
hausser leur beauté. Mais tandis qu« 
cette brillante jeunesse attiroit tous les 
yeux et les cœurs, Vathek Texarniiia avec 
une perfide avidité, et en choisit cinquante 
pour les sacrifier au Giaour. Alors^, avec 
un air de bonhommie il proposa de don. 
ner à ses ^tits favoris une fête dans la 
plaine. Ils dévoient, disoit-il, se réjouir 
encore plus que tous. les autres du retour 
de sa s^nté. La bonté du Calife en* 
chajiUe. Elle est Inentôt connue de tout 
Samarab. On prépare d^s litières, des 
cfiameaux, des chevaux ; femmes, enfans, 
vieillards, jeunes gens chacun se place 
selon son goût. Le cortège se met en 
marche, suivi de tous les confiseurs de 
la ville et dés fauxbourgs ; le peuple suit 
à pied en foule ; tout le monde est dans 
la joie, et pas un ne se ressouvient de ce 



^6C 



( 39 ) 

qa^il en a coûté à plusieurs, la deriiièrè 
fois qu'on ayoit pris ce chemin. 

La soirée étoit belle, l'air frais, le ciM 
i^erein; les fleurs exhaloient leurs pfti^- 
fums. La nature en repos sêtnbloit gè 
réjouir aui rayons dd soleil touchant. 
Lecir douce lumière ddf oit la (Aùït dé là 
tnontagne aux quatre soufcëfe ; elle eh 
einbellissoit la descente et colofôit tel^ 
troupeaux bondissflins. On u'entendôit 
que le murmure des fontaines, lé séh des 
chalumeaux, et la v(rix déâ befgerfe qui 
fe'appelloient sur lès colHnéè. 

Les pauvres éâfàns qui alloietit être 
immolés rendôient la sCene encore pluè 
intéressante. Pleins de sécurité, ils d'il- 
vaÉKjWeiit vers la plaine en lie cessant dé 
folâtrer; l'un coùfoit après dei^ papillons, 
l'autre cueilloit dés flfeurs ou râmai^oit 
de petites pierres luisantes; pltteîéufé 
s'éloignoiént d'un pas léger pour atoir lé 
plaisir de se réjoindre et de se donhei^ 
mille baisers. 

Déjà on découvroit de loin l'horrible 



( 40 ) 

^uffre au< fond duquel étoit le pôrtatt 
d'ébène. Comme une raie noire, il cou- 
poit la plaine par le milieu. Morakana- 
bad et ses confrères le prirent pour un de 
ces bizarres ouvrages que le Calife se 
plaisoit à faire; les malheureux! ils ne 
savoient pas à quoi il étoit destiné. Vat- 
hek, qui ne vouloit point qu'on examinât 
de trop près le lieu fatal, arrête la marche 
et fait tracer un grand cercle. La garde 
dôs eunuques se détache pour mesurer la 
lice destinée aux courses de pied» et pour 
préparer les anneaux que doivent enfiler 
les flèches. Les cinquante jeunes garçons 
se déshabillent à la hâte ; on admire là 
souplesse et les agréables contours de 
leurs membres délicats. Leurs yeux pé- 
tillent d'une joie qui se répète dans ceux 
de leurs parens. Chacun fait des vœux 
pour celui des petits combat! ans qui l'in- 
téresse le plus : tout le monde est attentif 
aux jeux de ces êtres aimables et in- 
nocens. 

lie Calife saisit ce moment pour s'éloig* 



( 41 ) 

nef de la foule. Il s'avance sur le bord 
du gouffre, et entend, non sans frémir, 
l'Indien qui disoit en grinçant des dents : 
où sont-ils ? Impitoyable Giaour ! répon- 
dit Vathek tout troublé, n'y à-t-il pas 
moyen de te contenter sans le sacrifice 
que tu «xiges ? Ah ! si tu voyois la beauté 
de ces enfans, leurs grâces, leur naïveté; 
tu en serois attendri. La peste de ton at-> 
tendrissement, bavard que tu es! s'écria 
l'Indien; donne, donne les vite, ou ma 
porte te sera fermée à jamais. Ne crie 
donc pas si haut, repartit le Calife en 
rougissant Oh! pour cela, j'y consens, 
reprit le Giaour, avec un sourire d'ogre ; 
tu ne manques pas de présente d'esprit : 
j'aurai patience encore un moment. 

Pendant cet affreux dialogue, les jeux 
étoient dans toute l^ir vivacités Ils fini- 
rent enfin^ lorsque le crépuscule gagna 
les montagnes. Alors, le Calife se tenant 
debout sur le bord de l'ouverture, cria 
de toutes ses forces : que mes cinquante 
]>etits favoris s'approchent, de moi, et 



< 42 ) 

qu'ils viennent selon l'ordre du staccèit 
qu'ils ont eu dans leursjeux! Au pre» 
ipier des vainqueurs je donnerai mon 
bracelet de diainaus, 8|u second. mon col^- 
lier d'émeraudes, ^.u troisième ma . cein- 
ture de topaze, et à chacun des autres 
quelqpe. pièce. 4^ inOn' habilletnent, ju»- 
qu'^rpes pantoufles. ^ 
, A ces paroles, les . acclamations redour 
hlère^t ; on portoit aux nnej» la bonté d'ua 
Firince qui se . mettoit tout nud pour 
aimuser sçs sujetsi, et esicourager la jeis^ 
nesse. Cependant Isi Qalifé ^ ;désbabil^ 
lant peu-à-peu, et élevant le bras aus^ 
haut qu'il pouvpit, faisoit briller cbacuft 
des prix ; mais tandis que d'une nmin il 
le donpoit à l'enfant qui se hâtoit de le 
recevoir, de l'autre il le pou^soit dans le 
gouffre, où le Giaour toujours gromme*- 
lant, répétoit sans ce^e : encore! encore] 
Cet horrible manège étoit si rapide, 
que l'enfant qui aecouroit ne pouvoit pas 
se douter du sort de ceux qui l'avoient 
précédé ; et quant aux spectateurs^* Tob- 



( 43 ) 

fiCHrité et la distance les empêchaient de 
Toir. Enfin, Yathek ayant ainsi .précipité 
la cinquantième victime» crut que le Gia? 
our yiendrjïit }e prendre et lui prés^ter 
la clef d'or. Déjà il $^'imagiuqit être au^si 
grand que Suleïman, et n'ayoïr aucun 
compte à reddre, lorsque lacreyasse se 
ferma à sa grande surprise, et qu'il ^sent 
tit. sous ses pas la terre ferme comme jà 
l'ordioâire. Sa rage et i^on désespoir of 
peuvent s'exprimer. Il maudissoit la perr 
fidie de l'Indien ; il Tappelloit des noms 
les plus infèmes, et frappoit du pied 
cowme pour en être entendu. Il se dér 
nuena ainsi jusqu'à ce qu'étant épuisé» il 
tomba par terre comme s'il avoit perdu le 
sentiment. Ses visirs et les grands de la 
cour plus près de lui que les autres, cru- 
rent d'abord qu'il s'étoit assis sur l'iierbe 
pour jouer, avec les enfans; mais un^ 
sorte d'inquiétude les ayant saisis, ils 
s'vancèrent et virent te Calife tout seul, 
qui leur dit d'un air égaré: que voulez- 
vous? — Nos enfans! nos enfans! s'écriè- 



,/ 



( 4A y 

rent41s. — ^Vous êtes bi^i plaisans ée nm- 
loir me rendre responsable des accidens 
de la ¥Îe, leur repondit-iL Vos enfans 
sont tombés en jouant dans le précipice 
qui étoit ici, et j'y serois tombé moi*méme^ 
si je ii'avois fait un saut ea arrière. 

A ces mots, les pères des cinquante 
enfans poussent des cris perçass, que les 
mères répétèrent d'An octale plus haut; 
tandis que tous les autres, sacs savoir pour- 
quoi Ton^crioit, enchérissoient sur eux par 
des hurlemens. Bientôt ao se dit de tous 
<;ôtés : c'est un tour que le Calife nous à 
joué pour plaire à son maudit Giaour; 
punissons-le de sa perfidie, v^engeons*^ 
nous ! vengeons le sang innocent ! jettons 
4ie cruel Prince dans la cataracte, et que 
isia mémoire même soit -anéantie j 

Carathis, effrayée par cette rumeur, 
«"approcha de Morakanabad. Visir, lui 
dit-elle, vous avez perdu deux jolis en- 
cans, vous devez être le plus désolé des; 
pères; mais vous êtes vertueux, sauvez 
«otce maître. Oui, Madame, répondit le 



( 45 ) 

viarir ; je vais essayer au péril de ma yîé 
de le tirer du danger où il est ; ensuite, je 
l'abandoimerai à son funeste destin. Ba- 
babalouk, poursuivit-elle, mettez-vous à 
)a tête de vos eunuques; écartons la 
foule; ramenons, s'il se peut, ce malheii* 
reux Prince dans son palais. Bababa* 
louk et ses compagnons, se félicitèrent, 
pour la première fois et tout bas, de ce 
qu'on les avoit privés des honneurs et des 
soucis de la paternité* Ils obéirent au 
visir, et celui-ci les secondant de . son 
mieux, vint enfin à bout de sa généreuse 
entreprise. Alors, il se retira pour pleurer 
à son aise. 

Dès que le Calife fut rentré, Carathis fit 
fermer les portes du palais. Mais voyaiîi 
que rémeute augmentoit, et que de tous 
eûtes on vomissoit des imprécations, elle 
dit à son fils : que vous ayez tort ou rai- 
son, n'importe; il faut sauver votre vie. 
Retirons-nous dans vos appartemens^; xie 
là, nous passerons dans le souterreiu qui 
n'est connu que de vous et de moi, et gagr 



( 46 ) 

fierons la tour, où, atec le secours des 
muets qui n'en sont jamais sortis, nous 
tiendrons de reste. Bababalouk nous 
croira encore dans le palais, et en défendra 
l'entrée pour son propre intérêt; alors, 
sans nous embarrasser des conseils de ce 
pleureur de Morakanabad, nous Terrons 
ce quHl y aura de mieux à fyire. 

Yathek ne répondit pas un seul mot à 
tout ce que sa mère lui disoit, et se laissa 
conduire comme elle voulut ; mais tout ea 
marchant, il répétoit: où es^tu, horrible 
Giaour? N'as-tu pad encore croqué ces 
imfans ? Où sont tes sabres, ta clef d'or^ 
tes talismans ? Ces paroles firent deviner 
à Carathis une partie de la vérité. Quand 
son fils se fut un peu tranquillisé dans la 
tour, elle n'eut pas de peine à la tirer 
toute entière* Bien loin d'avoir des scru- 
pules, elle étoit aussi méchante qu'une 
femme peut l'être, et ce m'est pas peu 
dire; car ce sexe se pique de surpasser 
en tout celui qui lui dispute la supé- 
riorité. Le récit du Calife ne causa donc 



( *7 ) 

à Caràtbis ni «luppirise ni hoireut ; elle fut 
seulement frappée des promesses du Gia- 
QUT, et dit à son fils : il faut avouer que 
ce Giaour est un peu sanguinaire ; cepeit» 
dant les puissances terrestres doivent être 
encore plus terribles ; mais leâ promesses 
de l'un et les doni^ des autres valent bien 
la peine de faire quelques petits efforts ; 
nul crime 0e doit coûter quand de tels 
trésors en sont la récompense. Cessesf 
donc de vous plaindre de Tlndien ; il mè 
semble que vous n'avez pais rempli toutes 
les conditions qu'il met à ses services. Je 
ne doute point qu'il né faille faire un sa- 
crifice aux génies souterrein^, et c'est à 
quoi il nous faudra penser lorsque l'é- 
meute sera appaisée; je vais rétablir le 
ealme^ et je ne craindrai pas d'épuiseï? 
vos trésors, puisque nous en aùranis bien 
d'autres. Cette princesse qui possédoit 
merveilleusement l'art de persuader, re^ 
passa par le sotit<errein, et s'étant rendue 
au palais, se montra au peuple par la fe- 
nêtre. Elle le harangua, tandis que Ba- 



( 48 ) 

babalouk jettoit de l'or à pleines maînsr. 
Ces deux moyens réussirent; Fémeute 
fut appaisée : chacun retourna chez soi, 
et Carathis reprit le chemin de la tour. 

On annonçoit la prière du point du 
jour, lorsque Carathis et Vathek montè- 
rent les innombrables degrés qui condui- 
sent au sommet, et quoique la matinée 
fût triste et pluvieuse, ils y restèrent 
quelque tems. Cette sombre lueur plai- 
soit à leurs cœurs méchans. Quand ils 
virent que le soleil alloit percer les nua- 
ges, . ils firent tendre un pavillon pour jse 
mettre à l'abri de ses rayons. Le Calife, 
harassé de fatigue, ne songea d'abord 
qu'à se reposer, et dans l'espérance d'a- 
voir des visions significatives, il se livra 
au sommeil. De son côté l'active Ciara- 
this, avec une partie de seà niuets, de- 
scendit pour préparer le sacrifice qui de- 
voit se faire la nuit suivante. 

Par de petits degrés pratiqués dans 
l'épaisseur du mur, et qui n'étoient con- 
nus que d'elle et de son fils, elle descendit 



( 4Ô ) 

«[^abord dans des puits mystérieux qui i^e- 
celoient les momies des anciens Pharaons, 
arrachées de ^ leurs tombeaux; elle en fit 
prendre un bon nombre. De là, elle se 
rendit a une galerie où, sous la gardé de 
cinquante négresses muettes et borgnes 
de l'œil droit, on conservoit l'huile dés 
serpens les plus venimeux, des cornes de 
rhinocéros, et des bois d'une odeur suffo- 
cante, coUpés par des. magiciens dans l'in- 
térieur des Indes ; sans parler de mille 
autres raretés horribles. Carathis elle- 
même aToit fait cette collection, dans 
l'espérance d'avoir, un jour ou l'autre, 
quelque commerce avec les puissances in- 
fernales qu'elle aimoit passionnément; et 
dont elle connoissoit le goût. Pour s'ac- 
coutumer aux horreurs qu'elle méditoit, 
elle resta quelque tems avec ses négresses 
qui louchoient d'une manière séduisante 
du seul œil qu'elles avoient, et lorgnoient, 
avec délices, les têtes de morts et les sque- 
lettes. A mesure qu'on les tiroit des ar- 
pioires, les négresses faisoient des côntor* 

£ 



( 50 ) 

mens épouvantable» ; et, tout en admîrairi: 
la princesse, elles glapissoient à Té tond in 
Enfin, étouffée par la mauvaise odeur, 
Carathis fut forcée de quitter la galerie^ 
^près l'avoir dépouillée d'une partie de 
6es monstrueux trésors. 

Cependant le Calife n'avoit pas eu les 
visions qu'il attendoit ; mais il avoit gagné 
dans ces régions exhaussées un appétit 
dévorant. Il avoit demandé à manger 
aux muets, et ayant totalement oublié 
qu'ils étoient sourds, il les battoit, les 
mordoit et les pinçoit de ce qu'ils ne bon- 
ge<^ient pas. Heureusement pour ces.mi- 
sérables créatures, Carathis vint mettre 
le holà a une scène si indécente. Qu'est- 
ce donc, mon fils ? dit^Ue, toute essouf* 
fiée; j'ai cru entendre les cris de mille 
chauve-souris qu'on déniche d'un antre, 
et ce ne sont que ceux de ces pauvres 
muets que vous maltraitez : en vérité, vous 
ne méritez pas l'excellente provision que 
je vous apporte. Donnez, donnez ! s'écria 
le Calife ; je meurs de faim. Ma foi, vous 



( 51 > 

ikuriez un bon estomac, dit*elie, si youà 
pouviez digérer tout ce que j'ai ici Dé^ 
pêchez-TOus, repartit le Calife. Mais, ô 
ciel! quelles horreurs! que voulez-vous 
faire ? je suis prêt à vomir. Allons, allons^ 
répliqua Carathis, ne soyez pas si délicat, 
aidez. moi à mettre tout ceci en ordre; 
vous^ verrez que les mêmes objets que 
vous rebutez vous rendront heureux. Pré- 
parons le bûcher pour le sacrifice de cette 
nuit, et ne songez point à manger qu'il ne 
soit dressé. Ne savez-vous pas que tous 
les rites solemnels doivent être précédés 
d'un jeûne rigoureux ? 

Le Calife, n'osant rien répliquer, s'a- 
bandonna à la douleur et aux vents qui 
commençoient à désoler ses entrailles, 
tandis que sa mère alloit toujours son 
train. On eut bientôt arrangé sur les ba- 
lustrades de la tour les phioles d'huile de 
serpens, les momies et les ossemens. Le 
bûcher s'élevoit, et en trois heures il eut 
vingt coudées de haut. Enfin, les ténè« 
bres arrivèrent, et Carathis toute joyeuse, 

£ 2 



< 52 ) 

66 dépouilla de ses vêtemens : elle battoit 
de» mains et brandissoit un flambeau de 
graisse humaine; les muetsi Timitoient; 
mais Vathek exténué de faim, ne put y 
tenir plus long-tems, et tomba évanoui, 
c Déjà les gouttes brûlantes des flam* 
beaux allumoient le bois magique, Thuile 
empoisonnée jettoit mille feux bleuâtres, 
les momies se corisumoient et lànçoient 
des tourbillons d'une fumée noire et opa- 
que; enfin les flanunes gagnant les cornes 
de rhinocéros, il se répandit une odeur 
si infecte que le Calife revint a lui en sur- 
saut, et parcourut d'un œil égaré la scène 
flamboyante. L'huile enflaqimée decou- 
loit à grands flots, et les négresses, qui 
ne cessoient d'en apporter, joignoient leurs 
hurlemens aux cris de Carathis. Les 
flammes devinrent si violentes, et Iç poli 
de l'acier les réfléchissoit avec tant de vi- 
vacité, que le Calife ne pouvant plus en 
supporter l'ardeur ni Téclat, se réfugia 
«ous l'étendard impérial. 
. Frappés de la liunière qui éclairoît 



( 53 ) 

toute la ville, les habitans de Samarah âé 
levèrent à la hâte, montèrent sur leurà 
toits, virent la tour en feu, et descendi- 
rent à moitié nuds sur la place. Leur 
amour pour leur Souverain se réveilla en^ 
core ' dans ce moment, et croyant qu'il 
alloit être brûlé dans sa tour,* ils ne son- 
gèrent plus qu'à le sauver. Morakana*- 
faad sortit de sa retraite en essuyant ses 
larmes ; il crioit au feu, comme les autres; 
Bababalouk, dont le nez étoit plus accou- 
tumé aux odeurs magiques, ^e doutoit 
que Carathis travailloit a ses opérations, 
et conseilloit a tous de rester tranquilles. 
On le traita de vieux poltron et de traître 
insigne; on fit avancer les chameaux et les 
dromadaires chargés d'eau; mais com* 
ment entrer dans la tour ? 

Petidant qu'on s'obstinoit à en forcer 
les portes, un vent furieux; s'éleva du 
nord-est, et répandit au loin la flamme. 
D abord, le peuple recula, ensuite il re- 
doubla de zèle. Les odeurs infernales 
des bornes et des momies se répandant de 



( 54 ) 

tous eôtés, empestèrent l'air, et plusieniTif 
personnes presque suffoquées, tombèrent 
à la renverse. Ceux qui étoient restés 
debout, disoient a leurs voisins ; éloignez* 
Vous, Yoits empoisonnez. Morakanabad, 
plus malade que les autres, faisoit pitié ; 
par-tout on se bouchoit le nez : mais rien 
n^arréta ce^ux qui enfonçoient les portes. 
Cent quarante des plus robustes et des 
plus déterminés en vinrent à bout. Ils 
gagnèrent Tescalier, et firent bien du che- 
mia dans nn quart-d'heure. 

Carathis, que les signes de ses muets et 
dé ses négresses alarmoient, s'ayance sur 
Fescalier,^ en descend quelques marches^ 
et entend plusieurs voix qui crient: voici 
de l'eau ! Comme elle n'étoit pas mal leste 
pour son âge, elle regagna vite la plate- 
forme, et dit a son fils : un moment ; sus- 
pendez le sacrifice ; nous allons avoir de 
quoi le rendre encore plus beaur Cer- 
taines bêtes s'imaginant, sans doute, que le 
feu étoit à la tour, ont eu la témérité d'eti 
briser les portes, jusqu'à présent inviolar 



,» K, 



i 55 ) 

bles» et viennent avec de Teau. II fyxt^ 
avouer qu'ils sont bien bons d avoir oublié 
tous VOS torts; mais n'importe. Laissons* 
te monter, nou> to sacriâeroas a, 
Giaour ; nos muets ne manquent ni de 
force ni d'expérience : ils auront bientôt 
dépêché des gens fatigués. Soit, répon- 
dit le Calife» pourvu qu'on finisse et qu€! 
je dîne. 

Ces malheureux ne tardèrent pas â pa^ 
roitre. Essoufflés d'avoir monté si vite les 
quinze cent degrés, au désespoir que leurs 
çeaux étoient presque vuides, ils ne dirent 
pas plutôt arrivés que l'éclat des flammes' 
et l'odeur des momies offusquèrent tous 
leurs sens à la fois : c'étoit dommage, cai' 
ils ne voyoient pas le sourire agréable 
avec lequel les muets et les négresses 
leur passoient la corde au col ; mais tout 
n'étoit pas pprdu, car ces aimables per- 
sonnes ne se réjotiissoient pas moins d'une 
telle scène. Jamais on n'étrangla avec 
plus de facilité ; chacun tomboit sans ré- 
sistance çt expiroit sans pousser un cri ; 



( 56 ) 

de sorte que Viathék se trouva bientôt en- 
vironné des corps de ses plus fidèles su- 
jets, qu'on jetta sur le bûcher. Carathis qui 
pensoit a tout, crût en avoir assez; elle 
fit tendre les chaînes et fermer les portes 
d'acier qui se trouvoient sur le passage. 

On avoit à peine exécuté ces ordres que 
Ib tour trembla ; les. cadavres disparurent, 
et les flammes de sombre cramoisi qu'ellea 
étoient, dévinrent d'un beau couleur de 
rose. Une vapeur suave se fit délicieuse- 
ment sentir ; les colonnes de marbre jet- 
tèrent des sons harmonieux, et les cornes 
liquéfiées exhalèrent un parfum ravissant. 
Carathis, en extase, jouissoit d'avance du 
succès de ses conjurations; tandis que les 
muets et les négresses, a qui les bonnes 
odeurs donnoient la colique, se retirèrent 
dans leurs tanières en grommelant. 

Dès qu'ils dirent partis la scène chan- 
gea. Le bûcher, les cornes et les momies 
firent place à une table magnifiquement 
servie. On y voyoit au milieu dune 
foule de mets exquis des flacons de vin. 



( 57 ) 

et des vases de Fagfouri où un sorbet ex-^ 
cellent reposoit sur la neige. Le Calife 
fondit sur tout cela comme un vautour, et 
dévoroit un agneau aux pistaches ; mai^ 
Carathis, occupée de tout autres soins» 
tiroit d'une urne de filigramme un parche^' 
ftiiu roulé dont on ne voyoit pas la fin, et 
que son fils n'avoit pas naême apperçu; 
Finissez ^ohc, glouton, lui di^elle d'un 
ton implosant, et écoutez les promesses^ 
magnifiques qui vous sont feites ; alors^ 
elle lut tout haut ce qui suit. " Vathek, 
mon bieq^imé, tu as surpassé mes es^ 
pérances ; mes narines ont savouré le 
fumet de tes momies, de tes excellentes 
cornes, et sur-tout de ce sang Musulman 
que tu as répandu sur le bûcher. Lorsque 
la lune sera dans son plein, sors de to» 
palais, environné de toutes les marquea 
de ta puissance c; que les diœurs de tee 
musiciens te précèdent au son des dai- 
xons et ail bruit des timbales. Fais-toi 
suivre de l'élite de tes esclaves, de tea 
lemmes les plus chéries, d^ mille cha^ 



I 

I 



( 58 ) 

meaux somptueusement chargés, etprenda 
la route dlstakhar. C'est-là. que je t'at% 
tends ; là, ceint du diadème de Gian BeiK 
Gian, et nageant dans toutes sortes de 
délices, les talismans des Suleïman» le^ 
trésors des Sultans préadamites te seront 
livrés ; mais malheur à toi si dans ta route 
tu acceptes quelque asyle." 

Le Calife, nonobstant son luxe ordi* 
liaire, n*aToit jamais si bien dîné. Il se 
laissa aller, a la joie que lui.inspiroient de 
si bonnes nouvelles, et but de, nouveau* 
Carathis ne haïssoitpas le vin, et.faisoifr 
raison, a toutes les rasades qu'il portoit 
par ironie a la santé de Mahomet. Cette 
perfide liqueur acheva de les remplir 
d'une confiance impie. . Ils blasphémoient ; 
l'âne de Balaam, le chien, des sept Dor- 
inans, et les autres animaux qui sont dans 
le paradis du saint Prophète,, devinrent 
le sujet de leurs scandaleuses plaisante- 
ries. En ce bel: état, ils. descendirent 
gaiment les quinze cent degrés, se mo- 
quant des mines inquiètes qu'ils voy oient. 



i 



( 59 > 

iur la place, à travers les lucarae& de. là 
tour, gagnèrent le. souterrein, et arrivée 
rent dans les appartemens royaux. Ba? 
babalouk s'y promenoit d'un air tranquillo 
en donnant ses ordres aux eunuques qui 
moucboient les bougies et peignoient les 
beaux yeux des Circassiennes. Il n'eut 
pas plutôt apperçu le Calife qu'il dit: 
Ah! je vois bien que vous n'êtes pas 
brûlés ; je m'^n doutois. Que nous im*. 
porte ce que tu penses, s'écria Carathis I 
Va, cours dire a Morakanabad que noua 
voulons lui parler, et sur-tout ne t'arrêta 
pa, poor t<Z to tosipideif réHexions. 

Le grand visir arriva sans délai : Vathek 
et sa mère le reçurent avec beaucoup de 
gravité, lui dirent d'un ton plaintif que 
le feu du sommet de la tour étoit éteint ; 
mais que par malheur il en avoit coûté la 
vie aux braves gens qui étoient venus à 
leur secours. 

Encore des malheurs! s'écria Morak* 
anabad en gémissant; ah! Commandeur 
d.es Fidèles; notre saint Prophète e§t 



( 60 ) 

98H1H3 doute irrité contre no as; c'est « 
vous à l'appaiser, Nous l'appaiserons de 
reste, répondit le Calife, avec un sourire 
qui n'annon<;oit rien de bon. Vous aurez 
ftôsez de loisir pour vaquer à vos prières ; 
ce pays m'abîme la s^^nté, je veux changer 
d'air ; la montagne aux quatre sources 
m ennuie, il faut que je boive du ruisseau 
de Rocnabad, et me rafraîchisse dans les 
beaux vallons qu'il arrose. En mon ab- 
sence vous gouvernerez mes états d'après 
les conseils de ma mère, et aurez soin de 
iui fournir tout ce qu'elle désirera pour 
ses expériences ; car vous savez bien que 
notre tour est remplie de choses précieuses 
pour les sciences. 

Là tour n'étoit guères du goût de Mo^ 
rakanabad ; sa construction avoit épuisé 
.des trésors prodigieux, et il n'y avoit vu 
porter que des négresses, des muets et de 
vilaines drogues. Il ne savoit non plus 
que penser de Carathis, qui prenoit toutes 
les couleurs comme le caméléon. Sa mau* 
.dite éloquence avoit souvent mis le pauvre 



I 



( 61 ) 

Musulman aux abois ; mais si elle ne var 
loit pas grand'chose, son fils étoit encore 
pire, et il se réjouissoit d'en être délivré. 
Il alla donc calmer le peuple, et préparer 
tout pour le voyage de son maître. 

Vathek, dans l'espoix de plaire davant. 
âge aux esprits du palais souterrein, vou- 
loit que son voyage fût d'une magnificence 
inouie. Pour cet effet il confisqua à droite 
et à gauche les biens de ses sujets, pen- 
dant que sa digne mère visitoit les harems, 
.et les dépouilloit de leurs pierreries. 
Toutes les couturières, toutes les brodeu- 
ses de Samarah et des. autres grandes villes 
,à cinquante lieues à la ronde, travailloi- 
^nt S9.ns relâche aux palanquins^ et aux 
litières qui dévoient embellir le train^ du 
Monarque, On enleva toutes les belles 
toiles de Masulipatan, et on employa tant 
(de mousseline pour enjoliver Bababalouk 
et les autres eunuques noirs, qu'il n'en 
restoit pas une. aune dans tout l'Iraque 
Babylonien. 
^ Pendant que ces préparatifs se faisoient» 



( ^ ) 

Caratliîs donnoît de petits soupers pour 
se rendre agréable aux puissances téné- 
breuses. Les dames les plus fkmeuses 
par leur beauté y étoient invitées. Elle 
recherchoit sur-tout lès plus blanches et 
les plus délicates. Rien n'étoît aussi 
élégant que ces soupers ; mais lorsque là 
gaîté devenoit générale, ses eunuques 
faisoient couler sous la table des vipères, 
et y vuidoiént des pots remplis de scor- 
pions. On pense bien que tout cela mor- 
doit à merveille. Carathis faisoit sem- 
blant de ne pas s'en appercevoir, et per- 
sonne n'osoit bouger. Lorsqu'elle voyoit 
que les convives allôient expirer, elle 
ç'amusoit à panser quelques plaies avec 
une excellente thériaque de sa compo- 
sition ; car cette bonne Princesse avoit en 
horreur l'oisiveté. 

Vathek n'étoit pas aussi laborieux que 
sa mère. II passoit son tems à tirer parti 
des sens dans les palais qui leur étoient 
dédiés. On ne le voyoit plus ni au Di- 
van, ni à la Mosquée ; et pendant qu'une 



{ ^ ) 

itmitié^ de S^amarah suivait son e:!tèinplè| 
fautre gémissoit des progrès ûé la cor- 
ruption« 

Sur ces entrefaites revint Fambassadé 
qu'où avoit envoyée a la Mecque, dans 
des tems plus pieux. Elle étmt composée 
des plttô révérends Moullahs« Leur mis^ 
mon étoit parfaitement remplie, et ils ap 
portoient un de <;es précieux balais qui 
avoient uettoyé le sacré Cahaba : c'étoit 
un présent vraiment digne du plus grand 
prince de la terre. 

Le Calife se trouvoit dans ce moment 
retenu en un lieu peu convenable pour re* , 
cevoir des ambassadeurs. Il entendit la 
iroix de Bababalouk qui crioit derrière 
les portières V voici Fexcellent Edris Al 
Shafei et le séraphique Mouhateddin, qui 
apportent le balai de la Mecque, et qui 
avec des larmes de joie désirent ardem- 
ment de le présenter a votre Majesté* 
Qu on apporte ici ce balai, dit Vathek ; 
il peut y être de quelque utilité. Com- 
ment? répondit Bababalouk, horé de 



( 6é ) 

l*iî.^— Obéiis ! reprit le Calife, cat c'est 
ma volonté suprême ; c'est ici, et nulle 
autre part, que je veux recevoir ces bonnes 
, gens qui te mettent en éJiCtase. 
: L'eunuque s'en alla en murmurant, et 
dit au vénérable coi:tège de le suivre. 
Une sainte joie se répandit parmi ces res- 
pectables vieillards, et quoique fatigués 
de leur lotig voyage,- ils suiviDient Bababa- 
louk avec une agilité qui tenoit du miracle. 
Ils enfilèrent les augustes portiques, et 
trouvoient bien flatteur que le Calife ne les 
reçût pas. comme des gens ordinaires.' 
dans la salle d'audience. Bientôt ils par-: 
vinrent dans l'intérieur du sérail, où à 
travers de riches portières de soie, ils 
crurent appercevoir de beaux grands 
yeux bleus et noirs qui alloient et yenoient 
comme (des éclairs. Pénétrés de respect 
et d'étonnement, et plein» de leur mission 
céleste, ils s'avan^çoient en procession vers 
de petits corridors qui sembi oient n'aboutir 
à rien, et les conduisoient à cette petite 
cellule, où le Calife les attendoit. 



( 65 ) 

Le Commandeur des Fidèles sef oit-i! 
malade, disoit tout bas Ëdris Al Shafei a 
son compagnon ? Il est, sans doute, à 
son oratoire, répondit Al Mouhateddin. 
Vatbek, qui entendoit ce dialogue, leur 
cria : que vous importe où je suis ? avan^ 
cez toujours. Alors il sortit la main à 
travers la portière, et demanda le sacré 
balai. Chacun se prosterna avec respect^ 
ausai bien que le corridor le permit, et 
même dans un asse^ beau demi-cercle. 
jLe respectable Ëdris Al Shafei tira le 
balai des linges brochés et parfumés qui 
en défendpient kt vue aux yeux du vul- 
gaire, se détacha de ses confrères, et s'a- 
vança pompeusement vers le prétendu 
oratoire^ De quelle surprise, de quelle 
horreur ne fut-il pas saisi I Vathek,,avec 
un rire moqueur, lui ôtà le balai qu'il 
tenoit d'une main tremblante, et fixant quel- 
ques toiles d'araignée suspendues au plaur 
cher azuré, il les balaya et n'en laissa pas 
une seule. 

Les vieijlards pétrifiés n'osoient lever 

F 



( 66 ) 

leur barbe de dessus la terre. Ils voyoi- 
ent tout ; car Vathek avolt négligemment 
tiré le tideau qui les séfyaroit de lui. 
Leurs larmes niduilloietit le marbre. Al 
Mouhàti^ddin s'evànouit de d^pit et dé 
ftitigue, pendant que le Calife, se lais^nt 
aller à la renverse, rioit et battoit des 
mains sans miséricorde. Mon, cher tioi* 
raut, dit-^il enfin a Bababalouk, vas -ré^ 
galér ces bonnes gens de môti vin de Shi- 
raî5. Puisqu'ils peuvent se vanter de 
mieux connoîtrè mon palais que personne, 
oh ne sauroit leur faire trop d'honneur. 
En disant ceg mots, il leur jetta le balai 
au nez, et s'en alla rire avec Carathis. 
Bababalouk fit don possible pojar con- 
soler les vieillards, mais deux des plus 
foibles en mouturent stir le champ ; les 
autres, ne voulant plus voir la lumière, se 
firent porter dans leurs lits, d'où ilâ ne 
sorth-ent jamais. 

La nuit suivante, Vathek et sa mère 

< 

montèrent au haut de la tour pour cou- 
8ulter les astres sur le voyage. Les con- 



\ 



( ^ ) 

* 

UteDatians étant dans un aspect des pluis 
Htf^orabkfà ; le Calife voulut jouir d'wn 
Irpectacle stussi flatteur. \\ soupa gsn^eBt 
sur la plate-forme, encore noireie de 
Ta^ffineux «acrifice. Fendant le repas on 
entendit de grands édats de rire qui Te- 
tentisâoient dan» Tatmosphère^ et il en 
tim le plttB&vombie augure. 

^fbttt'^tait en iDoûvement >dan6 le pa« 
tais. Les lamiènes ne ^'êteignoient pas 
de toute la nuit ; le biruit'des «Enclumes ^et 
des marteaux, 'la voix des femmes et de 
leurs gardiens qui chant^ent en t>rodaiit ; 
tout cela înterrbropoit \e «ilence 'de la 
nature: et {îlaisoit infiniment à Vâthék, qui 
croyèit déjà^moiiter en triomphe ^snr le 
trône de'Suleïman. 

Le peuple n'étoit pas moins content que 
lui. 'Chacun méttoit la main a l'œuvre^ 
pour hiâter le moment qui- devoit le dé- 
livrer de la tyrannie d'un maître si bi- 
zaï^e. 

Le jour qui précéda le départ de ce 
prince insensé, ^Carathis crut devoir lui 

F 2 



( 68 ) 

jenouveller ses conseils. Elle ne cesscit 
de répéter les 'décrets du parchemin mys- 
térieux qu'elle avoit appris par cœur, ..et 
recommandoit sur-tout; de n'entrer ' chez 
qui que ce fût pendant le voyage. J^ s^ais 
bien, lui disoit-elle, que tu es friand ;de 
]bons plats^ et de minois agréables ; maïs 
contente-toi de tes- anciens cuisiniers, qui 
sont les meilleurs du nM)Qde». et so.uviens- 
^oi que dans ton sérail ambulant, il y a 
pour le moins trois douzaines de jolis 
¥isages auxquels Bababalouk n'a pas en- 
cor^ levé le voile. Si n^a présence n'étoit 
pas nécessaire ici, je veillerois moi-même 
^ ta conduite,' J'aurpis grande envie de 
yoir ce palais sout^rrein, rempli d'objets 
intéressans pour les gens de nçtre espèce ; 
il n'est rien que j'aime . autant qu^ les 
cavernes ;> mon goût pour les cadavres et 
les momies est décidé, et je gage que tu 
trouveras la quintessence de c^ genre. 
Ne m'oublie donc pas, et dès le moment 
que tu seras en possession des talismans 
qui doivent te donner le royaume des 






( 69 ) 

métaux' parfaite, et t'ouvrir le centre de' s 
la terre, ne manque' pas- d'envoyer ^ ici ; 
quelque génie d^ eonfianee pour me .: 
prendre avec mon cabinet. L*httile«de ^ 
ces serp^is que j^ai pinces j usqu'à la-, 
mort, sem un fort joli présent {)Our notre . 
Giaoury qui dcMlt aimer ces sortes de frian^w. 
dises* . 

Lorsque Oarathiâ eut 'fini ce beau dis-> 
cours, le soleil se coucha derrière la moii«\. 
tag^ aux quatre sources, at fit place a lar> 
lune. Cet astre, alors dans «on plein^ 
paroissoît d'une beauté et d'une cifx;our 
férenee extraordinaire- aux yeux «des fem- 
mes, des eunuques et des pag^qui bru- 
loient de voyager. La ville retentissoit 
de cris de joie et de fan&res. On ne vpyoit; 
<}ue plumes flottantes sur tous les. pavil- 
lons, et qu^aigret4:es brillant à la; doucç 
clarté de la lune. La grande place ne 
r^ssembloit pas mal à un parterre émaillé 
des plus belles tulipes /de FOrient 

Le Calife en habits de cérémonie, s'ap- 
puyant sur. son visir et sur Bababaloukii 



< 70 ) 

dèseffidîi la grande rompe de la toûir; 
Xi» nraltîiude eaiière étoii ppost^née, et 
les ehwieaiix magnifiquemeiit dbargés 
a'agenoitilloieQt 4eTaiat lui. Oe spiectaele 
étoit i&uperbè, et le Calife lui-même s'aç* 
léta pour Tadaiirer. Tout étoit dapa un 
Silence respectueux : il fyd pourtaui nu 
peu troublé par les cris des eunuques 
dé l'arrière-garde. Ces yigilans servi- 
teurs avoieat rt^oaarqjué que quelques 
cages à dame peneboieat trop d'un c<N(é ^ 
certains gaillards s'y ^étoiettt adroiteffke&t; 
glissés ; mais on les en défiôéha ibien yUj^ 
avec de bonnes recoaunaindations aux 
ehirurgienB du séraiL 

D^auseri petite évènemeAS fiîiné€3'rûiBpir 
rent pas la majesté de cette auguste scène* 
Yatfaek salua la lune d'un air d'intelU- 
gence; et les docteurs de la loi fuiteat 
«candalisés .de cette idolâtrie, ^ainsi que 
les viairs et :les igrands rassemblés pour 
jouir des derniers regards de leur Souve- 
raine. Enfin, les clairons et les trompâtes 
.donnèrent, du sommet de la tour, le.signal 



< 71 ) 

4n Répart. Quçiqi^^ç p^rfi^tçpie^t d'-ac- 
jpard^ op crut pourtant y r^inarquer que^.- 
qae di^QAnance ; .c- étoit -Carath^s qu^ 
,cb^nt,oit ^es bymues au GiaojUf, ^^ c^^^t 
le^ n^gresLS^ et les ini^ç;ts ifi^isoienjt 1^ 
Ipasserço^tinue. ^es bons l^usi^man^ 
fcrjoysijff, Rendre le fao^urdoni^nient d^e 
ces insectes nocturnes qui sont de maur 
yais p;^sfige, supplièrent Vatihek d'a^vpi^ 
js^in de s;^ personne sacrée. 

Qfl ar\)ore le gran^ étfjçidM^ .^^ Califat ; 
.y\fijgt :93i^e l^nc^ brillent^ ^la suite ; et Iç 
sCalife, fo^ilaiit maj^stueusen^^nt aux pied^ 
^e^ tissus ^ 4!9ir étendus sur son passfige, 
inont^ ep litière aux acclamations de pe^ 
sujets. Alors, la^ marche s'quyrit ^^x^h J^p 
plus bel ordre, et avec i)n si grand ^i^enc^, 
^qu'on entendait chanter les^ çîg^les d^|^ 
Jes buissofis de 1^ plaine de Cfitoul. Q|it^ 
sijt bonnes lieues avant l'aurorç, et rétpil^ 
,du matin étipceloit i^ncore dansjla fijçui^- 
ment, quand ce npipbreux cortège ^riji va ap 
bordduTygro, où Ton djressf^ les |tQn|?es 
pour se reposer le réside de la jpuruée; . 



N 



< 72 ) 

Trois jours s^écoulèrent de la même 
manière. Au quatrième, le ciel en conr- 
Toux éclata de mille feux : la foudre fa^ 
soit un fracas épouvantable, et les Cir- 
cassiennes tremblantes entbrassoient leurs 
vilains gardiens. Le Calife commençoit 
â regretter les palais des sens; il avoit 
grande envie de se réfugier dans le grofe 
bourg die Chulchîssar, dont le <5ouver- 
neur étoit venu lui offrir des rafraîchisse- 
mens. Mais ayant regardé ses tablettes, 
il se laissa intrépidement mouiller jus- 
qu'aux os, malgré les instances de ses 
favorites. Son entreprise lui'tenoit trop 
à cœur, et ses grandes espérances soute- 
noient son courage. Bientôt le cortège 
«'égara; on fit venir les géographes pour 
savoir où l'on étoit; mais leurs cartes 
^:rempées étoient dans un état aussi pi- 
teux que leurs personnes ; d'ailleurs, on 
n'avoit point fait de long voyage depuis 
Haroun Al-Rachid : on ne savoit donc 
plus de quel côté se diriger. Vathek^ 
i^ui ^voit de grandes connoissances de la 



{ 73 ) 

'SÎttiatîon des corps célestes, ne savoît oà 
il en étoit sur la terrte. Il grondoit plus 
fort encore que le tonnerre, et lâchoit 
quelquefois le mot de potence, * qui ' ne 
fiattdit pas bien agréablement les oreilles 
4itéraires. Enfin, ne voulant plus suivre 
t]ue ses idées, il ordonna de traverser des 
•rochers escarpés, et de prendre un chef- 
«nin qu'il croyoit devoir le conduire en 
quatre jours a Rocnabad: on eut beau 
-faire des remontrances, ^on parti étoit 
pris. 

Les femmes et les eunuques, qui nV 
voient ';|amaii8 rien vu de parfeil, frémis^ 
soient à l'aspect des gorges Aes mon- 
tagnes, et faisoient des cris pitoyaMes en 
voyant les horribles précipices qui bop- 
Soient le sentier rapide où l'on étoit. La 
nuit tomba avant que le cortège eût at- 
teint le sommet du plus baut rocher. 
Alors, «n vent impétueux mit en piècei» 
4es rideaux des palanquins et des cages, 
^t laissa les pauvres dames exposées à 
ioutes les fureurs de l'orage. L'obscurité 



< 74 ) 

4u ciel afigmeQi;o,ît la .terreur ,de cette naît 
4ésas^e^4$^; ajussi n i^i^iit-ce que miai^le^ 
Dient <ie9 pages et pleur» de^ dexi^oi^elliea. 

Pour suricçult de nj^m^ei^r, ,on es)^94jt^ 
4.e$ rivgissenpi^sLS effiroyaJi^les, et ^ent^jt o^ 
#pp^r;çujt daus Tépai^eur cj[es forête 4^1^ 
;yewx flaiftbpyans, qui »e paUyç#e»t. êjti:ip 
^ue /ceui^ de ^i^l^s >ûu (ji^ tjigje^. l<ep 
|>ioa9iefs ijui prép^pi^t le chèuiiiii 4» 
i>m^x qu'ils pauvQie^t, ^ \i«e pa^riie de 
|*^y9,i:^t-garde, {ure^ dévorée ^'.vapt qu^ .d^ 
pouvoir se reconnoître. La confusion .étçôjt 
extrême ; l/es loupç, j|e$ (igr^s e^ lès autres 
^ràrta.ux qwpassiors, invités par iwj^ 
jcoiji^aguQn^^y aqcpuraiei^t de tô^ites par<t^ 
(Qn eutc^dçÂt pa.rrt;9ut crqquer des os, eft 
.dans l'air, un époviyai\table :b.a<itetnen4; 
id'fiîles ; car jes vautours çomiueuçQieut à 
se Qiettre de la p&i^tie. 

jL'efiroi iparviut enfiu au grand corps ,de 
itroMipes qui eutouroit le Mauarque ,et sda 
sérail, et qui était à deux lieues da dis- 
itance. Vathek, choyé .par se^ eunuques, 
ne s'é toit encore apperçu de rien ; il étoit 



( 75 ) 

iBcdlçfllQ^at coui^hé sur dies ^o^saiaç 4e 
^Q\e ^a,m j90^ fiwple litière ; ef; pap^lap^ 
qm deajf: petits p^e^i pI^$ l^^^s q^ne 
J'^maîl dfs {^rangjuis^an, lui cj^ias^oien^ }e^ 
poi|che9, il 4ovmmt ^'jxn prolond si^m^ 
ipieil, et vpyjôifc IjriHer iep tré^or^ de S«r 
{eïmâiià dans ses rêves. Les clwieurs 4? 
$es femmes le reveillèrent ei) swrs^uf, et 
au JieipL 4u Gi^our avec sa clef d'or, il 
•yit Babo^bf^louk tput tr^n^ et poust^rné. 
jSine, s'écria cie fidèle serviteur du plu$ 
puissant des Monarques, le malheur est 
^ 0on coinJ)le .; les^ .bêtès féroces, qui ne 
vous r.esj)ieiCte^Qient pas >plu3 qu ma âja^e 
wort, sont tombées ^lar vos chame^a^u-st:. 
Trente des pflus ràehemeijt c^^^rgés pltijt éjté 
.dévorés avec le^ir^ conducteurs ; vos ^feoiU- 
lauj^rs, vos e.uîsâniQrs, e^t ceux ;qw portoi- 
eut vos provjisions de boudhe opt .éprouvé 
le iiiême sepct, et si noti:e saint Po'Qphète n? 
nous ptrotège pas, jr]kOus nema^ogerons plus 
de notre vie. A ce mot de manger, le Calife 
.perdit toute contenance ; il hurla et se 
donna de grands coups. JBababalouk 



f « *. _ - ^ .^>r.. 



*voyant que soii maître avoît tout-à-fait 
perdu la tête, se boucha les oteilles poui* 
s*éviter au moine le tintamarre du âéraiL 
Et comme lés ténèbres augmentoient, et 
que • la rurneur devenoit toujours plus 
grande, il prit un piarti héroïque. Al* 
k^s, mesdames' et mes confrères, cria-t-il 
de toutes ' ses forces j mettons la main à 
l'œuvre, battons le "feriquet eu plus vîteî 
Il ne sera pas dit que le Commandeur 
des vrais Croyans serve de pâture à des 
anfimaux infidèles. 

Qaoiq^'il n'y eàtpas mai de capricieu- 
ses et de revêohes parmi ces belles, toutes 
furent soumises dians cette occasion. En 
un clin-d'ceil, on vit paroître des feux dans 
toutes les cages. Dix mille flambeaux 
farent allumés sur le «champ, tout le 
monde s'arme de gros cierges, et le Calife 
lui-même ^n fait autant. Des étoupes 
trempées dans l'huile «t allumées au bout 
de longues perches, jettoient tant d'éclat 
<que les rochers paroissoient éclairés 
èomme en plein jour. L'air étoit rempli 



i 77 ) 

>de tonrfoillons d'étincelles, et le veiitJ^iN 
•chassant par*tout, le feu prit à la fougère 
et aux broussailles. ^ Dans peu» l'incendie 
fit des progrès rapides ; on vit.ramper . de 
toutes parts des serpens au désespoir et 
qui abàndonnoient leur demeure avec des 
liiffleméns, effroyables. Les chevaux» Je 
v^z au . vent, hepnissoiént, battoient , du 
pied, et ruoient san& quartier. 

,Une des forêts de cèdre qu'on côtoyoit 
alors s'râibrasa, et les branches qui p^n- 
doient sur. le chemin, communiquèrent^ les 
âammes aux fines mousselines et aux bel* 
les toiles qui gouvroient les xagj&s ^des 
daines, et elles furent obligées d'en sortir, 
au hasard de se rompre. le coL Vathek» 
yomissq^nt niille blas.phèn9es, fut forcé 
tout comme les autre.s, de mettre ses pieds 
sacrés-à terre. . , 

. Jamais rien de pareil n'é toit arrivé : lès 
dames qui ne savoieut pas se tirer d'aâ^re» 
tomboient dans la fange, pleines.de dépit, 
de honte et de rage. Moi, marcher! disoit 
Tune ; . moi, ; mouiller mes pieds I disoit 



( 78 } 

l'autfe; moi isalir me» i^obes ! »%CTimt\m^ 
tfomème: exécrable Bstbât^lonk ! àisoi^ 
entoiles tdtitç» à la foi», ordure d'enfer i 
Qu'at^is-tu besoin de â^mbeatr^ ? Plcitôt 
l}ire les tigres noas euisiefit dâvorée», que 
d'étfe vues dans l'état eu sommeâ ! Nous 
toilà |)erdues pour jamais. Il n'y ^ura 
jpas de porte-&ix^ dans Tarmée, ni d€ 
décrotteur de chameau^nt qtii ne pUiséle nit 
«Vâtttèr d'aftoir vu une partie de notre «orps, 
etf qui pis €ist, nOs Tisages« En disant cei 
mots, les plus niodestes se jettèrmt la face 
dans les oniières* Celles , qui âtoient 
Un peu plus de courage en voulurent à Ba» 
l^abalouk -^ mais lui, qui les connoi^soit et 
qui êtoit fin, s'enAiit à toutes jambes avec 
«es confrères, en secouant leurs torches et 
battant des tythbales* 

L'incendie répandit une lumière aussi 
vive que lé soleil au plus beau jour de la 
<îanicule, et il faisoit chaud à proportion» 
Oh comble dliôrreur! On voyoit le Calife 
embourbé cottitae un simple mortel ! Ses 
«ens commencèrent à s'éngouWlir; il ne 



( 79 ) 

poliToit pluà avdnceh Uiie de siei^ ffetnnies 
Ethiopiennes (car il ëti stvôit une grsinde 
variété) eut pitié de lui, le prit à brasi^e^ 
corps, Ife chargea sur ses épaules, et tôy* 
allt qtife lé feu gàgnoit de tous côtés, elle 
f)ârtit ctomme uii trait, rtidlgré le poids de 
son fardeau. Les autres damefe, auji qUel^ 
les lé danger avoit retidu Tusàge de leurs 
jàmbëid, la suivirent de toutes leurs fct-ties; 
lëS ^rdes se nnreht à gklopër après, et 
les pâlefretiiers faisoieilt courir les cha* 
meaux en se culbutant les uns sUr les 
autres. 

On arriva enfin au lieu oft les bêtes féro- 
ces avoîeht comhiehcé le carnage; maià 
elles avôient trop d'esprit pour ne s'être 
pas retirées au bruit d'un si horrible va* 
carme, ayant, du reste, soupe à merveillew 
Bababalouk se saisit pourtant de deux oU 
trois des plus grasses, et qui s'êtbient tant 
reihplîes qu'elles ne pouvoient plus bou- 
ger. Il se mit à les écorcher prôpi^ement i; 
et comme on étoit déjà as^ez éloig^rté de 
l'embrasement pour que la chaleur n'eli 



( 80 ) 

fût que médiocre, et agréable, on se déteF- 
mina à s'arrêter dans l endroit où Ion étoit.- 
Oa ramassa les lambeaux des toiles peiu* 
tes; on. enterra les débris du repas des 
loups et dea tigres ; on se vengea sur quel'- 
ques douzaines de vautours qui en ayoient 
leur saoul ;. et après avoir fait le dénom** 
brement des cbameaux qui préparoient 
tranquillement du sel ammoniac, on en**^ 
cageà tant bien que mal les dames, et on 
dressa la tente impériales sur le texrein le 
moins raboteux. 

Vathek s'étendit sur ses matelas de dur 
Tet, et commençoit à se refaire des se- 
cousses de r£tbiopienne ; c'étoit une rude 
monture! Le repos ramena son appétit 
accoutun;ié; il demanda à manger; maisi 
hélas! ces pains délicats quon çuisoit 
dans des fours d'argent pour ; sa bouche 
royale, ces gâteaux friands, ces confitures 
ambrées^ ces flacons de vin de Shiraz, ces 
porcelaines remplies de neige, ces excel»- 
lens raisins qui croissent sur les bords, du 
Tygre; tout avoit disparu! Bababalouk 



i 



( 81 ) 

n'avoit à ofïriir qu'un gros loup rôti,^ des 
vautours à la daube, des herbes amères» 
des champignons vénéneux, des chardons 
et des racines de mandragore qui ulcé- 
roient la gorge et mettoient la langue en 
pièces. Pour toutes liqueurs, il ne possé- 
doit que quelques phioles de méchante 
eau-de-vie, que les marmitons avoiènt 
cachées dans leurs pabouches. On con- 
çoit qu'un repas aussi détestable dut 
mettre Vathek au désespoir; il sebouchoit 
le nez et mâchoit avec des grimaces af- 
freuses. Cependant, il ne mangea pas 
mal, et s'endormit pour mieux digérer. 

Pendant ce tems tous les nuages avoient 
disparu de dessus Thorison. Le soleil 
étoit ardent, et ses rayons, réfléchis par 
les rochers, rôtissoient le Calife, malgré 
les rideaux qui l'enveloppoient. Un es- 
saim de moucherons fétides et couleur 
d'absynthe, le piquoient jusqu'au sang^. 
N'en pouvant plus, il se réveille en sur- 
saut, et hors de lui; il ne savoit que de- 
venir, et se débattoit de toutes ses forces, 

G 



( 82 ) 

tandis que Bababalouk continuoit de ron- 
fler, couvert de ces vilains insectes qui lui 
courtisoient le nez. Les petits pages 
avoient jette leurs éventails par terre. Ils 
étoient à moitié morte, et ^nployoient 
leurs voix expirantes à £eiire des reproches 
amers au Calife, qui, pour la première fois 
de sa vie, entendit la vérité. 

Alors, il renouvella ses imprécations 
contre le Giaour, et commença même à 
dire quelques douceurs à Mahomet. Où 
suis-je ? s'écrioit-il : quels sont ces affreux 
rochers ! ces vallées de ténèbres ! sommes- 
nous arrivés à l'épouvantable Caf ! la Si-* 
morgue va-t-elle venir me crever les yeux 
pour venger mon. expédition impie ! £n 
parlant ainsi, il mit la tête à une ouverture 
du pavillon ; mais hélas ! quels objets se 
présentèrent à sa vue! D'un côté, une 
plaine de sable noir dont on ne voyoit 
point l'extrémité ; de l'autre, des rochers 
perpendiculaires tout couverts de ces abo- 
minables chardons qui lui faisoient encore 
cuire la langue. Il crut pourtant dé^ 



( 83 ) 

couvrir parmi les ronces et lès épines^ 
quelques fleurs gigantesques ; il se trom- 
poit; ce tfétoit que des morceaux de 
toiles peintes, et des lambeaux de son 
magnifique cortège. Comme il y àvoU 
plusieurs crevasses dans le roc, Vathek 
prêta l'oreille, dans Fespoir d'y entendre le 
bruit de quelque torrent ; mais il n'enten-» 
dit que le sourd murmure de gens, qui, 
en maudissant leur voyage, demandoient 
de l'eau* Il y en avoit même qui crioient 
auprès de lui: pourquoi avons-nous été 
conduits ici? Notre Calife a-t-il quel 
qu'autre tour à bâtir ? Ou est-ce que les 
Afrites impitoyables que Carathis aime 
tant, font ici leur demeure ? 

A ce nom de Carathis, Vathek se res- 
souvint de certaines tablettes qu'elle lui 
avoit donnés, en lui conseillant d'y avoir 
recours dans les cas désespérés* Pendant 
qu^il les feuilletoit, il entendit un cri de 
joie et des battemens de mains; les ri- 
deaux du pavillon s'ouvrirent, et il vit Ba- 
babalouk suivi d^une troupe de ses favor- 

o 2 



( 84 ) 

ites. Ils lui am enoient deux nains d'une 
coudée de haut, portant une grande cor- 
beille remplie de melons, d'oranges et de 
grenades, et qui chantoient d'une voix ar- 
gentine les paroles suivantes: " Nous 
habitons. sur la cime de ces rochers, une 
cabane tissue de cannies et de joncs ; les 
aigles nous envient notre séjour ; une pe- 
tite source nous y fournit de quoi faire 
TAbdeste, et jamais un jour ne se passe 
sans que nous récitions les prières pre- 
scrites par notre saint Prophète. Nous 
vous chérissons, ô Commandeur des Fi- 
dèles! Notre maître, le bon Emir Fak- 
reddin vous chérit aussi; il révère en vous 
le Vicaire de Mahomet. Tout petits que 
nous sommes, il a de la confiance en nous; 
il sait que nos cœurs sont aussi bons que 
nos corps paroissent méprisables; et il 
nous a placés ici pour secourir ceux qui 
s'égarent dans ces tristes montagnes. Nous 
étions, la nuit dernière, occupés dans notre 
petite cellule de la lecture du saint Koran, 
lorsque les vents impétueux ont éteint 



( 85 ) 

tout*à*coûp nos lumières, et fait trembler 
notre habitation. Deux heures se sont 
écoulées dans les plus profondes ténèbres; 
alors, nous entendîmes au loin des sons 
que nous ayons pris pour ceux des clo-' 
chettes d'un Cafila qui traversoit les rocs» 
Bientôt des cris, des rugissem^ois et lé son 
des tymbaies ont frappé nos oreilles. 
Glacés d effroi, nous avons pensé que le 
Deggial avec ses anges exterminateurs» 
venoit répandre ses fléaux sur la terre* Au 
milieu de ces réflexions, des flammes cou- 
leur de sang se sont élevées sur Thorison, 
et quelques momens après, nous fumes 
tout couverts d'étincelles. Hors de nous- 
mêmes par ce spectacle efirayant^ nous 
nous sommes agenouillés, nous avons ou- 
vert le livre dicté par les bienheureuses 
intelligences, et à la clarté des feux qui 
nous entouroient, nous avons lu le verset 
qui dit: On ne doit mettre sa confiance 
qu^en la miséricorde du Ciel; il ri y a de 
ressource que dans le saint Prophète; la 
montagne de Cdff elle-même peut trembler, 

g3 



». 



f,x 



( 86 ) 

la puissance d'Allah est seule inébranlable. 
Après avoir prononcé ces paroles, un 
calme céleste s'est emparé de nos âmes ; 
il s'est fait nn profond silence, et noi^ 
oreilles ont distinctement ouï dans l'air 
upeToix qui disoit: Serviteurs de mon 
Serviteur fidèle, mçttez vos sandales, et 
descendez dans l'heureuse vallée qu'ha- 
bite Fakreddin ; dites-lui qu'une occasion 
illustre se présente pour satisfaire la soif 
de son cœur hospitalier : c'est le Com* 
mandeur des vrais Croyans qui erre lui- 
même dans ces montagnes ; il faut le se- 
courir. Joyeusement, nous avons obéi â 
l'angélique mission ; et notre maître plein 
4^un zèle pieux, a cueilli de ses propres 
mains ces melons, ces oranges, ces gre»- 
nades ; il nous suit avec cent dromadaires 
chargés des eaux les plus limpides de ses 
fontaines ; il vient baiser la frange de votre 
robe sacrée^ et vous supplier d'entrer dan^ 
son humble demeure, qui est enchâssée 
dans ces déserts arides comme une éme- 
raude dans le plomb." Lps nains, aprèe^ 



( 8T ) 

avoir aiasi parlé, restèrent debout les 
mains crpkéès %ut l'estomac, et dans un 
profond silence. 

Pendant cette belle harangue, Vathek 
s'étoit saisi de 1» corbeille, et long-tems 
avant qu'elle fût finies les fruits s'étoient 
fondus dans sa bouche. A mesure qu'ii 
les mangeoit, il devenoit pieux, récitoit 
ses prières, et demandioît en même tems lé 
Koran et du sucre. 

Il étoit dans ces dispositions, quand les 
tablettes, qu'il avoit posées à l'apparition 
des nains, lui donnèrent dans la vue ; il 
les reprit : mais il pensa tomber de son 
haut, en y voyant en grands caractères 
rouges, tracés par la main de Carathis, 
ces paroles qui étoient d'un à-propos à 
faire trembler : " Garde-toi bien des vieux 
docteurs et de leurs petits messagers qui 
noHt qu'une eoudée; méfie-toi de leurs su^ 
per chéries pieuses ; au lieu de manger leurs 
melons, il faut les mettre eux-mêmes à la 
broche. Si lu es assez foible pour entrer 
chez euXy la porte du palais souterrein se 



. If , *, 



( 88 ) 

fermeray et son mmivement te mettra ett 
lambeaux. On crachera sur ton corpsy et les 
chauve-souris feront leur nid de ton ventre.^* 

Que signifie ce galimathias épouvan- 
table? s'écria le Cialife: faût-il que j'ex- 
pire de soif dans ces déserts de sable, 
pendant que je puis me rafraîchir danst 
riieui'euse vallée des melons et des con^ 
combres ? Que maudit soit le Giaour avec 
son portail d'ébène ! Il m'a fait assez mor- 
fondre; d'ailleurs, qui me donnera des 
loix ? Je ne dois entrer chez personne, 
dit-on; eh! puis-je entrer dans quelque 
lieu qui ne m'appartienne ? Bababalouk, 
qui ne perdoit pas une parole de ce soli- 
loque, y applaudissoit de tout son cœur, 
et toutes les dames furent de son avis; 
ce qui jusqu'alors n'étoit pas arrivé. 

On fêta les nains, on les Caressa, on les 
mit bien proprement sur de petits car- 
reaux de satin, on admira la symmétrie 
de leurs petits corps, on vouloit tout voir, 
on leur présenta des breloques et du bon- 
bon ; mais ils refusèrent tout avec une 



( 89 ) 

çrayité admirable. Ils grimpèrent ^ur 
l'estrade dn Calife, et se plaçant sur ses 
épaules, ils lui bourdonnèrent des prières 
tlans les deux oreilles. Leurs petites 
langues alloient comme les feuilles du 
tremble, et la patience de Vathek tou- 
ohoit à sa fin, quand les acclamations des 
troupes annoncèrent l'arrivée de Fakred- 
din, . avec cent barbons, autant de Korans, 
et autant de dromadaires. On se mit vite 
aux ablutions et à réciter ie Bismillah. 
Vathek se débarrassa de ses importuns 
moniteurs, et en fit de même ; car il avoit 
les mains brûlantes. 

Le bon Emir, qui étoit religieux à toute 
outrance, et grand complimenteur, fit une 
harangue cinq fois plus longue, et cinq 
fois moins intéressante, que celle de ses 
petits précurseurs. Le Calife n'y pouvant 
plus tenir, s'écria: pour l'amour de Ma- 
homet! finissons, mon cher Fakreddin, 
et allons dans votre verte vallée, manger 
les beaux fruits dont le ciel vous a fait 
présent. Sur ce mot d'allons, on se mit 



( 90 ) 

^n marche; les vieillards alloient un peu 
lentement; maisVathek, sous-main, avoit 
ordonné aux petits pages d'éperonner le9 
dromadaires. Les cabrioles que ces ani- 
maux faisoient, et l'embarras de leurs ca« 
valiers octogénaires, étoient si plaisans, 
qu'on n'entendoit queclats de rire dans 
toutes les cages. 

On descendit pourtant heureusement 
dans la vallée par de grand escaliers que 
r£mir avoit fait pratiquer dans le roc ; et 
déjà on commençoit à entendre le mur- 
mure des ruisseaux et le frémissement des 
feuilles. Le cortège enfila bientôt un Bear 
tier bordé d'arbustes fleuris, qui aboutis- 
soit à un grand bois de palmier, dont les 
branches ombrageoient un vaste bâtiment 
de pierre de taille. Cet édifice étoit cou- 
ronné de neuf dames, et orné d'autant de^ 
portails de bronze, sur lesquels les mot^ 
suivans étoient gravés en émail. C'est ici 
Tasyh des pélenns, le refuge des voyageurs^ 
et le dépôt des secrets de tous les pays du 
monde. 



H 



( 91 > 

Neuf pages, beaux cotiame le jour, et 
décemment vêtus de longues robes de lin 
d'Egypte, se tenoient à chaque porte. Ils 
reçurent la procession d'un air ouvert et 
caressant. Quatre des plus aimablei^ pla^ 
cerent le Calife sur un techtravân magni- 
fique; quatre autres un peu moins gra- 
cieux se chaînèrent de Bababalouk, qui 
tressailloit de joie en voyant ITieureux gîte 
qu'il devoit avoir: le reste du train fut 
soigné par les autres pages. 

Quand tout ce qui étoit mâle eut dis- 
paru, la porte d'une grande enceinte qu'on 
voyoit à droite, tourna sur ses gonds har- 
inonieux, et il en sortit une jeune personne 
d'une taille légère, et dont la chevelure 
d'un blond cendré flottoit au gré des zé- 
phirs du crépusciile. Une troupe de 
jeunes filles, semblables aux Pléiades, la 
suivoit sur la pointe des pieds. Elles ac- 
coururent toutes aux pavillons où étoient 
les sultanes, et la jeune dame s'inclinant 
avec grâce leur dit : mes charmantes prin- 
cesses^ on vous attend ; nous avons dressé 



( 92 ) 

les lits de repos, et jonché vos apparte- 
mens -de jasmio : nal insecte n'écartera le 
sommeil de vos paupières, nous les chas-' 
serons avec un million de plumes. Venez 
donc, aimables dames, rafraîchir vos pieds 
délicats, et vos membres d'ivoire dans des 
bains d'eau de rose ; et, à la douce lueur 
des lampes parfumées, vos servantes vous 
feront des contes. Les sultanes accep 
tèrent avec grand plaisir ces offres obli- 
geantes, et suivirent la jeune dame dans 
le harem de r£mir ; mais il faut les quitter 
un moment pour retourner au Calife. 

Ce prince avoit été conduit sous un 
grand dôme, éclairé de mille lampes de 
crystal de roche. Autant de vases de la 
même matière, remplis d'un sorbet déli- 
cieux, étinceloient sur une grande table 
où se trouvoit une profusion de mets déli- 
cats. Il y avoit entr autres du riz au lait 
d'amandes, des potages au safran, et de 
Tagneau à la crème, que le Calife aimoit 
beaucoup. Il eu mangea avec excès, 
t6s»oi^aa bien de Famitié à l'Ejniir dans la 



I^.JXiflfi^ 



( 98 ) 

gaité de son Cœur, et fit danser les natav 
malgré eux ; car ces petits dévots n'o$oiet>t 
désobéir au Commandeur des Fidèle». 
Enfin, il s'étendit sur le sopba, et dor- 
mit plus tranquillement qu'il n'avoit fait 
de sa vie. 

Il régnoit sous ce dôme un silence pai- 
sible que rien n'interrompoit que le bruit 
des mâchoires de Bababalouk, qui se re- 
faisoit du triste jeûne auquel il avooit été 
forcé dans les montagnes. Comme il étoit 
fie trop bonne humeur pour dormir, et qu'il 
n'aimoit pas à être désœuvré, il voulut al- 
ler tout de suite au harem pour soigner 
ses dames, voir si elles s'étoient frottéçs à 
propos de baume de la Mecque, si leurs 
sourcils et leurs chevelures étoient en or- 
dre; en un mot, pour leur rendre tous les 
.menus services dont elles avoient besoin. 

Il chercha long*tems, mais sans succès, 
la porte qui conduisoit au harem. De 
peur d'éveiller le Calife, il n'osoit crier, 
et personne ne bougeoit dans le palais. Il 
commençoit à désespérer de venir à bout 



( 94 ) 

de son dessein, lorsqu'il entendit un petit 
chuchotement ; c'étoientles nains qui étoi* 
ent retournés à leur ancienne occupation, 
et qui, pour la, neuf cent quatre vingt neu- 
vième fois de leur vie, relisoient le Koran, 
Ils invitèrent très-poliment Bababalouk à 
les entendre; mais il avoit bien d'autres 
<5hoses à faire. Les nains, quoiqu'un peu 
tscandalisés, lui indiquèrent le chemin des 
appartemens qu'il cherchoit. Il folloit^ 
pour y arriver, passer par cent corridors 
fort obscurs. Il les enfila en tâtonnant^ 
et À la fin au bout d'une longue, allée, il 
commença à entendre • Tagréable caquet 
des femmes, et son cœur en fut tout ré- 
joui. ^^ Ah! ah! vous n'êtes pas encore en- 
demies, s^écria-t-il, en faisant de grandes 
enjambées ; ne croyez pas que j%ie abdi- 
qué ma charge." Deux eunuques noiri^, 
entendant parler si haut, se détachèrent 
des autres à la hâte, le sabre à la main ; 
mais bientôt on répéta de tous cotés : ce 
n'est que Bababalouk, ce n^èst que Baba- 
balouk. En èflfet, ce vigilant gardien sa- 



i 



( 95 ) 

Tança vers une portière de soie incarnat, 
à travers de laquelle luisoit une clarté 
agréable, qui lui fit distinguer un grand 
bain de porphyre foncé, et d'une forme 
ovale. D*aniples rideaux tombant en 
grands replis, entouroient ce bain ; ils 
étoient à demi-ouverts, et laissoient entre- 
voir des groupes de jeunes esclaves, parmi 
lesquell^ Bababatouk reconnut ses an* 
ciennes pupilles étendant mollement les 
bras, comme ' pour embrasser l'eau par- 
fumée, et se refaire de leurs fatigues. Les 
iregards langoureux, les mots à Foreille, le^ 
sourires enchanteurs qui accompagnoient 
les petites confidences, la douce odeur 
des roses, tout inspiroit une volupté contre 
laquelle Bababalouk lui*même avoit de la 
peine à se défendre. 

Il garda pourtant un grand sérieux, et 
commanda d'un ton magistral de faire sor- 
tir ces belles d^ Feau, et de les peigner 
d'importsoice. Tandis qu^il d<Hinoit ces 
ordres, lajeuneNouronihar, fille del'Emir, 
gentille comme une gazelle, et pleine d'es- 



( 96 ) 

piéglerie, fit signe a une de ses esclavem. 
de descendre tout doucement la grande 
escarpolette qui étoit attachée au plancher 
avec des cordons de soie* Pendant qu'on 
faisoit cette manœuvre, elle parla des 
doigts aux femmes qui étoient dans le 
bain, et qui bien fâchées d'être obligées 
de sortir de ce séjour de mollesse, emmêr 
lèrent leurs cheveux pour donner de Toc^ 
cupation à Bababalouk, et lui faisoient 
mille autres niches. 

Quand Nouronihar le vit prêt à perdre 
patience, elle s'approcha de lui avec un 
respect affecté, et lui dit : " Seigneur, il 
n'est pas décent que le chef des eunuques 
du Calife, notre Souverain, se tienne ainsi 
debout ; daignez reposer votre gentille per- 
sonne sur ce sopha, qui se rompra de dé- 
pit s'il n'a pas l'honneur de vous recevoir." 
Charmé de ces accens flatteurs, Bababa- 
louk répondit galamment; ^^ Délices de 
mes prunelles, j'accepte la proposition qui 
découle de vos lèvres sucrées ; et à dire 
vrai, mes sens sont afToiblis par l'admira- 



( 97 ) 

tioû que Hi'a causé la splendeur rayonnante 
de vos charmes/' Reposez-Vous donc, re- 
prit la belle, en le plaçant sur le prétendu 
sopha. Tout-à*coup, la machine partit 
comme un éclair. Toutes les femmes 
voyant alors de quoi il s'agissoit, sortirent 
nues du bain, et se mirent follement à don- 
ner le branle a l'escarpolette. Dans peu 
elle parcourut tout l'espace d'un dôme fort 
élevé, et faisoit perdre la respiration à 
l'infortuné Bababalouk. Quelquefois il 
rasoit l'eau, et quelquefois il alloit donner 
du nez contre les vitrés ; en vain, il remplis»- 
soit l'air de ses cris avec une voix qui res^ 
sembloit au son d'un pot cassé, les éclats 
de rire ne permettoient pas de les entendre. 
Nouronibar, ivre de jeunesse et de 
gaieté, étoit bien accoutumée aux eunu- 
ques des harems ordinaires ; mais elle n'en 
avoit jamais vu d'aussi dégoûtant ni d'aussi 
royal : aussi se divertissoit-ellè plus que 
toutes les autres. Enfin, elle se mit à 
parodier des vers Persans, et chanta: 
"Douce et blanche cOlombe qui voles dan» 

H 



{ 95 ) 

les airs, donne quelque œillade à ta fidèle 
compagne. Gazouillant rossignol, je suii 
la rose ; chante-moi donc quelques coup- 
plets agréables.". 

Les sultanes et les esclaves, animées 
par ces plaisanteries, firent tant jouel* l'es- 
carpolette que la corde cassa, et qUè 
le pauvre Babàbalouk tomba comme tinè 
tortue au milieu du bain. Il se fit un cri 
général ; douze petites portes qu'on n'ap* 
percevoit pas s'ouvrirent, et Ton s'échappa 
bien vite après lui avoir jette tous les linges 
sur la tête, et avoir éteint les lumières. 

Le déplorable animal dans l'eau jus^ 
qu'au col et dans l'obscurité, ne pouvoit 
se débarrasser du fatras qu'on lui avoit 
jette, et entendoit,- à sa grande douleur, 
<les éclats de rire de tous côtés. C'étoit 
en vain qu'il se débattoit pour sortir du 
bain; le bord tout imbibé de l'huile qui 
avoit coulé des lampes cassées, le faisoit 
glisser et retomber avec un bruit sourd 
qui résonnoit dans le dame. A chaque 
chute, les maudits éclats de rire redeù- 






< 99 ) 

Uoieiit. Croyant ce Ueu hsdbité par des 
démons plutôt que par des femmes^ il prif 
le parti de ne plus tâtouner, et de rester 
tristement dans le bain. Son humeur s'ex* 
beda eu soliloques remplis d^imprécations» 
daùt ses malicieuses voisines, nonchalam* 
meut couchées ensemble, ne perdoient pas 
^u ioot. he matin le surprit dans ce be) 
état ; on le tira enfin de dessous le mon* 
ceau de linge à demi étouffé, et trempé 
jmrqu'aux os« Le Calife l'avoit fait cher- 
cher par^tout, et il se présenta devant son 
itaaitre en boitant et en claquant des deots^ 
Vathek s'écria en le voyant dans cet état : 
<îu'as-tu donc ? Qui est-ce qui t'a mis k 
la marinade ? Et vous-même, qui vous a 
ùÀt entrer dans ce maudit gîte, demanda 
Bababalouk à son tour? Est-ce qu'un 
Monarque, tel que vous, doit venir se 
fourrer avec son harem, chez un barbon 
d'Emir qui ne sait pas vivre ? Les grar 
cieuses demoiselles qu'il tient ici! Ima- 
ginez-vouz qu'elles m'ont trempé comme 
une croûte de pain, et m*ont fait danser 

H 2 



( 100 ) 

tonte la nnit sur leur maudite escafpô' 
lette comme un saltimbanque. Voilà unr 
bel exemple pour vos sultanes, à qui 
j'avois inspiré tant de bienséance î 

Vathek, ne comprenant rien à te dis* 
cours, se fit expliquer toute rhistoire: 
Mais au lieu de plaindre le pauvre* hère,- 
il se mit à rire de toute sa force, deia 
figure qu'il devoit faire sur Fesearpolette. 
Bababaloiik en fut outré, et peu s'en fal- 
lût qu'il ne perdît tout respect. Rier, 
riez, Seigneur, disoit-il ; je voudrois que 
cette Nouronihar vous jouât aussi quel- 
que tour ; elle est assez méchante pour 
ne pas vous épargner vous-même. Ces 
mots ne firent pas d'abord une grande im- 
pression sur le Calife ; mais il s'en ressou- 
vint dans la suite. 

Au milieu de cette conversation arriva 
Fakreddin, pour inviter Vathek à des i. 
prières solemnelles. et aux ablutions qui 
«e fai soient dans nnfe vaste prairie, arrosée 
par une infinité de ruisseaux. Le Calife 
trouva l'eau fraîche, mais les prières en- 






( 101 ) 

iiuyèusies à la mort. Il se 4iver(i88Ctit 
pourtaoit de la inultitade de caleaders, de^ 
santons et de derviches, qui alloient et 
venoient dans ]a prairie. Les bramanes, 
les faq^irs et autres cagots venus des gran- 
des Indes, et qui en voyageant s*étoient 
«'rjêtés . chez FËmir, Tamusoient sur-tout 
beaucoup. Ils avoient tous quelque mo- 
merie favorite : les uns trainoient une 
grande chaîne ; les autres un ourang-ou- 
tang ; d'autres étoient armés de disci- 
plines ; tou^.réussissoient à n^erveille dans 
leurs différens exercices. On en vpjpoit, 
qui grimpoient sur les arbres, tenoient ur. 
pied en Tair, se balançoient sur un petit; 
feu, et se donnoient des nazardes san:^ 
pitié. Il y en avoit aussi qui chérissoient 
la vermine, et celle-ci ne répondoit pas 
mal À leurs caresses. Ces cagots ambu» 
lans soutevoient le cœur des derviches, 4es 
calenders et des santons. On les avoit. 
rassemblés, dans l'^poir que la présence . 
du Calife les guériroit de leur folie, et les 
convertiroit a la foi musulmane: mais 



( lOi ) 

bêlas! <m se trompa beaucoup* An fied 
de les prêcher» Yathek }es traita comme 
des bcmflbns, leur dit de faire ses ccmpli- 
mens a Visiioa et à Ixhora, et se prit de 
fantaisie pour nn g;ros rieillard de llcAe 
de Serendib, qui étoit le pins ridicnle de 
tous. Ah ^à, Ini dit-il, pOBr rameur de tes 
Dieux, fais quelque gambade qui m'amuse. 
Le vieillard offensé se mit à pleurer ; et 
comme il étoit un vilaio pleureur, Yathek 
lui tourna le des. Bababalouk, qui sui- 
▼oit le Calife avec un parasol, Ini dit alors: 
que votre Majesté prenne garde à cette 
canaille. Quelle diable d*idée de la ras- 
sembler ici ! Faut-il qu'un grand Monar* 
que soit régalé d'un tel spectacle, avec 
des intermèdes de talapoins phis galeux 
que des chiens ? Si j'étoîs vous^ j'ordon* 
nerois un grand feu, et je purgêrois la 
terfe de TËmir, de son harem et de toute 
sa ménagerie. Tais4oi, répondit Yathek. 
Tout ceci m'amuse infiniment, et je ne 
quitterai pas la prairie que je n'aie visité 
tous les animaux qui l'habitent. 



( lOS ) 

A mesure que le Calife lalloit en ayant, 
«m lui présentoit toutes sortes d'objets 
pitoyables ; des ayeugJes, des demi*ayeu*< 
gles, des messieurs sans nez, des dames sans 
oreilles^et le tout pour releyer la grande cha- 
rité de Fakreddin qui, ayecses barbons, dis- 
tribuoit à la ronde les cataplasmes et léê 
^plâtres. A midi, il se fit une superbe^ 
«itrée d'estropiés, et bientôt cm yit dans 
la plaine les plus jolies sociétés dinfirmes. 
Les aveugles, en tâtonnant, alloient ayec 
les aveugles ; les boiteux elochoient ensem- 
ble, et les manchots gesticuloient du seul 
bras qui leur restoit. ' Aux bords d'une 
grande chute d'eau sq trouvoient les 
% sourds ; ceux de Pégu ayoient les oreilles 
les plus belles et les plus laides, et jouis- 
soient de l'^^grément d'entendre encore 
moins que tes autres. Ce lieu étoit aussi 
le rendez-vous des superfluités en tout 
genre, comme des goître^, des bosses, ' et 
même des cornes, dont plusieurs avoient 
un poli admirable. 

L'£mir voulut rendre la fête splemnelle» 
et faire tous les honneurs possibles à son 



( 104 ). 

illustre convive ; en conséquence, il fit 
étendre sur le gazon une multitude de 
peaux et de nappes. On servit des pilaûs 
de toutes les couleurs, et autres mets or^ 
thodoxes pour les bons musulmans. Ya- 
thek, qui étoit honteusement tolérant; 
avoit eu le sdin d'ordotiner des petits plats 
d'abomination qui scandalisoient le» 
fidèles. Bientôt, toute la sainte assemblée 
se mit à manger de son mieux. Le Càlifé 
eut envie d'en faire autant; et malgré toutes 
les remontrances du chef des eunuques, 
il voulut dîner sur le lieu même. Aussi- 
tôt TEmir fit dresser une table à l'ombre 
des saules. Au premier service on donna 
du poisson tiré d'une rivière qui couloit 
sur un sable doré au pied d une colline 
fort haute. On rôtissoit ce poisson à me- 
sure qu'on le prenoit, et on Tàssaisonnoit 
ensuite avec des fines herbes du mont Sina; 
car chez l'Ëmir tout étoit aussi pieux 
qu'excellent. 

On étoit aux entremets du festin, quand 
tout-à-coup un son mélodieux de luths que 



j 



( 1D3 y 

répétoient Tes échos, se fit entendre sur là 
colline. Le Calife, saisi d'êtonnement et 
de plaisir, leva la tèie^ et il lui tomba sur 
le visage un bouquet de jasmin. Mille 
éclats de rire succédèrent à cette petite 
niche, et à travers les buissons où apper- 
çut les formes élégantes de plusieurs 
jeunes filles qui sautillbient comme des 
chevreuils. L'odeur de leurs chevelures 
parfumées parvint jusqu'à Vathek; il sus- 
pendit son repas, et comme enchanté il dit 
à Bababàlouk : les Périse^ sont-elles des-* 
cendues de leurs sphères? Vois-tu celle 
dont la taille est si déliée, qui court avec 
tant d'intrépidité sur les bords des pré- 
cipices, et qui en tournant la tête, semble 
ne faire attention qu'aux gracieux replis 
de sa robe ? Avec quelle jolie petite im- 
patience elle dispute son voile aux buis- 
sons! Seroit-ce elle qui m'a jette les 
jasmins? Oh! c'est bien elle, répondit 
Bababalouk, et elle seroit fille à vous 
jetter vous-même du rocher en bas ; je la 
reconnois : c'est ma bonne amie Nouroni- 



( 106 ) 

har, qui m'a 'si poliment prêté son escaii^ 
polette. Allons» mon cher seigneur et 
maître, coniinuartril, en rompant une 
branche de saule, permettei^-moi de l'aller 
fustiger pour vous aroir manqué de res* 
pec|:. L'Emir ne sauroit s'en plaindre; 
car, sauf ce que je dois à sa piétés il a 
grand tort de tenir un troupeau de demoi* 
selles sur les montagnes ; l'air, vif donne 
trop d'activité aux pensées. 

Paix, blasphémateur^ dit le Calife ; ne 
parle pas ainsi de celle qui entraine mon 
cœur sur ces montagnes. Fais plutôt que 
mes yeux se fixent sur les siens, et que je 
puisse respirer sa douce haleine. Avec 
quelle grâce et quelle légèreté elle court 
palpitant dans ces lieux champêtres! 
En disant ces roots, Yathek étendit ses 
bras vers la colline, et levant les yeux 
avec une agitation qu'il n'avoit jamais 
sentie, il cherchoit à ne pas perdre de 
vue celle qui l'avoit déjà captivé. Mais 
sa course étoit aussi difficile à suivre 
que le vol d'un de ces beaux papillons 



i 



( 107 ) 

aznrés ^de Cachemire, si rares et si se» 
Bdillans. 

Vathek, non contentde yoir Noaronihar, 
Tonloit aussi Tentendre, et prètoit avide-* 
ment l'oreille pour distinguer ses accens. 
Enfin il entendit qu'elle disoit à une de ses^ 
compagnes» en chuchotant derrière le 
petit buisson d'où elle avoit jette le bou-f 
qnet ; il iaut avouer qu^un Calife est une 
belle chose à voir : mais mon petit Gulr 
ehenrouE est bien plus aimable ; une tresse 
de sa douce chev^^lure vaut mieux que 
toute la riche broderie des Indes ; j'aime 
mieux que ses dents me serrent maUcieuse- 
ment le doigt que la plus belle bague du 
trésor impérial. Où l'as-tu laissé, Sutle* 
même? Pourquoi n'est-îl pas ici ? 

Le Calife inquiet auroit bien voulu en 
entendre davantage; mais elle s'éloigna 
avec toutes ses esclaves. L'amoureux Mo* 
narque la suivit des yeux jusqu'à ce qu'il 
l'eût perdue de vue, et d^neura tel qu'un 
voyageur égaré pendant la nuit, à qui' les 
nuages dérobent la constellation qui le 



( 108 ) 

dirige. Un rideau de ténèbres sembloit 
s'être abaissé devant lui ; tout lui parois- 
soit décoloré, tout avoit pour lui changé 
de face. Le bruit du ruisseau portoit la 
mélancolie dans son ame, et ses larmes 
tomboient sur les jasmins quil avoit re- 
cueillis dans son sein brûlant. Il ramassa 
même quelques cailloux pour se réssoch 
venir de l'endroit où il avoit senti les pife- 
miers élans d'une passion, qui jusqu'alKM*» 
lui avoit été inconnue. Mille fois il avait 
tâché de s'en éloigner, tnais c'étoiten vain. 
Une douce langueur absorboit son ame. 
'Etendu au bord du ruisseau, il ne 
cessoit de tourner ses regards vers la cime 
bleuâtre de la montagne. Que me caches-f 
tu, rocher impitoyable ! s'écrioit-il : qu'est- 
elle devenue ? Qu'est-ce qui se passe dans 
tes solitudes ? Ciel ! peut-être en ce mo- 
ment elle erre dans tes grottes avec son 
heureux Gulchenrouz ! 

Cependant lé serein commençoit à tom- 
ber. L'Emir, inquiet pour la santé du 
Calife, fit avancer la litière impériale ; Va- 



( 109 ) 

thek s^y laissa porter sans s'en apperceroir, 
et fut ramené dans le superbe salion où il 
avoit été reçu la veille. 

Mais laissons le Calife livré à sa nouvelle 
passion, et suivons sur les rochers Nou^ 
ronibar, qui avoit enfin rejoint son cher 
petit Gulcbenrouz. Ce Gulchenrouz étoit 
le seul enfant d'Ali Hassan^ frère de TEmir» 
et la créature de l'univers la plus délicate, 
la plus amiable. Depuis dix ans sou père 
étoit parti pour voyager sur des mers in- 
connues, et Tavoit confié aux soins de Fak*- 
reddin. Gulchenrouz savoit écrire en 
différens caractères avec une précision 
merveilleuse, et peignoit sur le vélin les 
{>lus jolis arabesques du monde. Sa voix 
étoit douce, et il l'accordoit avec le luth de 
la manière la plus attendrissante. Quand 
il chantoit les amours de Metgnoun et de 
Leilah, ou de quelqu'aiitres amans infor- 
tunés de ces siècles antiques, les larmes 
baignoient les yeux de ses auditeurs. Ses 
vers (car comme Meignoun il étoit poëte) 
inspiroient une langueur et une mollesse 



( no ) 

bien dangereuses pour let$ femmes* Touték 
i'aimoîent à la folie ; et quoiqu'il eût trdze 
ans, on n'avoit pas encore pu Tarràcber du 
harem. Sa dianz^é étoit légère comtne ce 
duvet que font voltiger dans Fair les zé* 
pfairs du priiitems. Mâi9 ses bras qui 
B^entrelaçoient si gracieusement arec ceux 
des jeunes filles, lorsqu'il dansoit, ne poiH 
Toient pas lancer les dards à la chasse, ni 
dompter les chevaux fougueux que son 
oncle nourrissoit dans ses pâturages. Il 
tiroit poiirtant de Tare d'une main sûre, et 
il auroit devancé tous les jeun:es gen« à la 
course, si on àvoit osé rompre les liens 
de soie qui rattachaient à PTouroinhar* 

Les deux frères avoient mutuellement 
eogagé leurs enÊtns 1 un à l'autre, et Nou- 
ronihar aimoit son cousin encore plus que 
ses propres yeux, tout beaux qu'ils étoient 
Ils avoient tous deux les mêmes goûts et 
les mêmes occupations, lés mêmes regards 
longs et languissans, la même chevelure, 
la même blancheur; et quand Gulchen- 
rouz se paroit des robes de sa cousine, il 



( 111 ) 

4»embloît être plus femme qu^elle. Si par 
liasard il sortait un moment du harem 
pour aller che2 Fakreddio, c'étoit avec la 
timidité du faon qui s^est séparé de la 
biche. Avec tout cela il avoit assez d'es- 
pièglerie pour ise moquer des barbons so- 
iemnels; aussi le tauçoieat-ils queiquo- 
fois saos pitié. Alors, il se plongeoit avec 
transport dans Fintérieur du harem, tiroit 
toutes les portières sur lui, et.se réfugioit 
^n sanglotant dans les bras de Nouronihar. 
£lle aiittoit ses fautes plus qu^on n^a jamais 
aimé les vertus. 

Nouronihar, après avoir laissé le Calife 
dans la prairie, courut avec Gulcbenrouz 
fiur les montagnes tapissées de gazon, qui 
protégeoient la vallée où Fakreddin faisoit 
43a résidence. Le soleil quittoit l'horison ; 
4et ces jeunes gens, dont Timagination étoit 
vive et exaltée, crurent voir dau« les beaux 
nuages du couchant les dômes diefihaddu- 
l^ian et d'Ambreabad où les Péris font leur 
demeuré. Nouronihar s'êtoit assise - sur 
le penchant de la colline, et tenoit la tète 



( 112 ) 

parfumée de Gulchenronz sur ses genoujr*. 
Mais l'arrivée imprévue du Calife, et 
l'éclat qui Tenvironnoit avmeut déjà trou- 
blé son auie ardeute^ Entraînée par sa 
Tànité, elle n'avoit pu s'empêcher de se 
faire remarqer de ce prince* Elle avoit 
bien vu qu'il ramassoit les jasnsiins qu'elle 
lui avoit jettes, et son amour-propre ed 
étoit âatté. Aussi, fut-elle toute troublée*, 
lorsque Gulchenrouz s'avisa de loi deman^ 
der ce qu'étoit devenu le bouquet qu'il lui 
avoit cueilli. Pour toute réponse, elle le 
baisa au front, et s'étant levée à la hâte, elle 
se promena à grands pas dans une agitation 
et une inquiétude qu'on ne sauroit décrire. 
Cependant la nuit avançoit: l'or pur du 
soleil couchant avoit fait place à un roug^ 
sanguin; des couleurs comme celles d'une 
fournaise ardente, donnoient sur les joues 
enflammées de Nouronihar. Le pauvre 
petit Gulchenrouz s'en apperçut. Il très- 
sailloit jusqu'au fond de son ame de ce 
que son amiable cousine étoit si agitée; 
Retirons-nous, lui dit*il d une voix timide^ 



( 113 ) 

il y a quelque chose de funeste, daos le$. . 
icieux. Ces tamarins tremblent plus qu'à 
rprdinaire, et ce vent me glace le cœun ^ 
Allons, retirons-nous: cette soirée est biea 
lugubre^ £n disant ces mots, il avoit 
pris Nouronihar par la main, et Tentrainoil 
de toutes ses forcés. Celle-ci le suivoit 
sans savoir ce qu'elle faisoit. Mille idées 
étranges rouloient dans son esprit £1^ 
passa un grand rond de chev]:e-feuillQ 
quelle aimoit beaucoup, sans y faire au-^ , 
cuue attention ; Gulchenrouz seul,, quoi^ 
4}u'il courût comme si une bête sauvage 
«ût été à ses troui^ses, ne put s^empéchei^ 
d'"en arracher quelques tiges. , 

Les jeunes filles les yoyant venir si vitei 
crurent que, selon leur coutume, ils vou* 
loient danser. Aussi-tôt elles/ s^assemT 
blèrent en cercle et se prirent par la main; 
mais Gulchenrouz, hors d'haleine, se laissa 
aller sur la mousse. Alors, la consterna* 
tion se répandit parmi cette troupe folâtre^ 
Nouronihar, presque hors d'elle-mêrtie, et 
aussi fatiguée du tumulte de ses pensées^ 

s 



^, 



( 114 j 

que de la course qu'elle vencrrt de feire, se 
jetta sur lui. Elle prit ses petites mains 
glacées, les réchauffa dans son sein, et 
frotta ses tempes d'une pommade odorifé- 
rante. Enfin, il revint à lui, et s'envelop- 
pant la tête dans la robe de Nôuronihar, 
la supplia de^ ne pas retourner encore au 
harem. Il craignoit d'être grondé par 
Shaban, son gouverneur, vieil eunuque 
ridé et qui n'étort pas des plus doux. Ce 
gardien rébarbatif auroit trouvé mauvais 
qu'il eût dérangé la promenade accou*^ 
tumée de Nouronihar. Toute la bande 
49'assit donc en rond sur la pelouse, et on 
commença mille jeux enfantins. Les eu* 
nuques se placèrent à quelque distance, et 
s'entretinrent ensemble. Tout le monde 
étoit joyeux, Nouronihar resta pensive et 
abattue. Sa nourrice s'en apperçut, et se 
mit à faire des contes plaisans, auxquels 
Gulchenrouz, qui avoit déjà oublié toutes 
ses inquiétudes, pYenoit grand plaisir. Il 
rioit, il battoit des mains, et faisoit cent 
petites niches a toute la compagnie, même 



( 115 ) 

aux eunuques^ qu'il vouloit absolument 
ûàfe courir après lui, en dépit de leur âgé 
et de leur décrépitude. 

Sur ces entrefaites, la lune se leva ; Id 
soireé étoit délicieuse, et on se trouva si 
bien, qu'on résolut de souper au grand 
air. Un des eunuques courut chercher 
des melons; les autres firent pleuvoir des 
aeaandes fraîches en secouant les arbres 
qui ombrageoient Taimable bande. Sutle^ 
même, qui excelloit à faire des salades» 
remplit des grandes jattes de porcelaine 
d'herbes les pins délicates, d'œufs de pe- 
tits oiseaux, de lait caillé, de jus de citron 
et de tranches de concombres, et en servit 
à la ronde, avec une grande cuiller de 
Cocknos. Mais Gulcbenrouz, niché, à 
son ordinaire, dans le sein de Nouronihar» 
fermoit ses petites lèvres vermeilles lorsque 
Sutlemémé lui présentoit quelque chose. Il 
ne vouloit rien recevoir que de le main de sa 
cousine, et s'attachoit à sa bouche comme 

4 

une abeille qui s'enivre du suc dfis fleurs. 
Pendant l'allégresse, qui étoit générale, 

I 2 



i^^^ 



{ 116 ) 

on vit une lumière bvlv la cime de la plus 
haute montagne. Cette lumière répandoit 
une clarté douce, et on l'auroit prise pour 
le lever de la lutie en son plein, si cet 
astre n'eût pas été sur rhorison. Ce spec* 
tacle causa ime émotion générale; on 
s'épuisoit en conjectures. Ce ne pouvoit 
pas être YeSét d'un embrasement, car la 
lumière étoit claire et bleuâtre. Jamais 
on n'avoit vu de météore d^une teinte pa- 
reille, ni de cette grandeur. Un moment 
cette étrange clarté devenoit pâle ; un iur 
stant après, elle se ranimoit. D'abord, on 
la crut fixée sur le pic du rocher ; tout-à- 
coup, elle le quitta et étincela dans 4in 
bois touffu de palmiers ; de là, se portant 
le long des torrens, elle s'arrêta enfin a 
l'entrée d'un vallon étroit et ténébreux. 
Gulchenrouz, dont le cœur frissonnoit à 
tout ce qui étoit imprévu ej: extraordi- 
naire, trembloit de peur. Il tiroit Nou- 
ronihar par sa robe, et la supplioit de re- 
tourner au harem. Les femmes en firent 
de même ; mais la curiosité de la fille de 



( 117 ) 

rEmîr étoit trop forte, elle remporta. A 
tout hasard, elle voulut courir après le 
phénomène. 

Fendant qu'on disputoit ainsi, il partit 
de la lumière un trait dé feu si éblouissant, 
que tout le monde se sauva en jettant de 
grands cris. Nouronihar fit aussi quel- 
ques pas en arrière; bientôt elle s^àrréta,' 
et s'avança du côté du phénomène. Le 
globe s'étoit fixé dans le vallon, et y brû- 
loit dans un majestueux silence. Nou- 
ronihar croisant alors les mains sur sa 
poitrine, hésita quelques momens. La 
peur de Gulchenrouz, la solitude pro- 
fonde où elle se trouvoit pour la pre- 
mière fois de sa vie, le calme imposant de 
la nuit; tout concouroit à l'épouvanter. 
Plus de mille fois elle fut sur le point de 
s'en retourner; mais le globe lumineux s0 
retrouvoit toujours devant elle. Poussée 
par une impulsion irrésistible, elle s'en 
-approcha au travers des ronces et des 
épines, et malgré tous les obstacles qui 
dévoient naturellement arrêter ses pas. 



( 118 ) 

Lorsqu'elle fut à l'entrée du yâllon, 
d'épaisses ténèbres Tenvironnèrent tout'^àr 
coup, et elle n'apperçut plus qu'une foible 
étincelle, qui étoit fort éloignée. Le 
bruit des chûtes d'eau, le froissement deis 
branches de palmier, et les cris funèbres 
et interrompus des oiseaux qui habitoient 
les troncs d'arbres ; tout portoit la terreur 
dans son ame. A chaque instant, elle 
croyoit fouler ^x pieds quelque reptile 
venimeux. Les histoires qu'on lui aypit 
contées des Dives malins et des sombres 
Goules, lui revinrent dan» l'esprit. Elle 
s'arrêta pour la seconde fois ; mais sa cu- 
riosité l'emporta encore, et elle prit cour 
rageusement un sentier tortueux qui con- 
duisoit yers l'étincelle. Jusqu'alors elle 
avoit su où elle étoit ; elle ne se fut pas 
plutôt .engagée dans le sentie qu'elle se 
perdit Hj|la« ! disoit-elle, que ne suis-je 
encore dans ces appartemens sûrs^ et si 
bien illuminés, où mes «oirées ^s'écouloieàl 
avec Gulchenrouz ! Cher enfant; comme 
tu palpiterois si tu errois comme moi dans 



< 119 ) 

ces profondes solitudes ! Ed parlant ainsi, 
elle avança toujours. Soudain, des de- 
grés pratiqués dans le roc, se présentè- 
rent à fies yeux ; la lumière augmentoit et 
paroissoit sur sa tête au plus haut de la 
montagne. Elle monta audacieusement 
les degrés. Lorsqu'elle fut parvenue à 
^ne certaine hauteur, la lumière lui parut 
sortir d'une espèce d'antre; des sons 
plaintifs et mélodieux s'y faisoient enten^ 
dre : c'étoit comme des voix qui formoient 
une sorte àe chant, sembable aux hymnes 
qu'on chante sur les tombeaux. Un bruit, 
comme celui qu'on fait en remplissant des 
bains, frappa en même tems ses oreilles. 
Elle découvrît de grands cierges flam- 
boysmsj plantés çà et là, dans les cre- 
vasses du rocher. Cet appareil la glaça 
d'épouvante: cependant elle continua de 
monter; Todeur subtile et violente qu'ex- 
haloient ces cierge^ la ranima, et elle ar- 
riva à l'entrée de la grotte. 

Dans cette espèce d'extase, elle jetta 
les yeux dans Tiotérieur, et vit une grande 



< 120 ) 

• 

cuve d'or, remplie d'une eau dont la suare 
vapeur distilloit sur son YÎsage une pluie 
d'essence de roses. Une douce sym- 
jphènie résonnoit dans la caverne-; sur 
les bords de la cuve, se trouvoient dei^ 
hàbillemens royaux, des diadèmes et 
des plumes de héron, toutes étincelàntes 
d^escarboucles. Pendant qu'elle admirôit 
cette magnificence, la miisiquë cessa, et 
lihe voix se fit entendre, disant: pour quel 
Monarque à-t-on allumé ces cierges, pré- 
paré ce bain et ces habilïemens qui ne 
conviennent qu'aux Souverains, non-seule- 
ment de la terre, mais même des puis- 
sances^ talismaniques? — c'est pour la chiar 
mante fille de l'Emir Fakreddin, répondit 
une seconde voijé. — Quoi ! repartit la pre- 
mière, pour cette folâtre qui consume son 
tems avec un enfant volage, noyé dans la 
molleisse, et qui ne sera jamais qu'un mari 
pitoyable ! — Que me dis-tu ! reprit Tautre 
voix; pourroit-elle s amuser à de telles 
niaiseries, quand le Calife brûle d'amour 
pour elle, le Souverain du monde, celui 



( 121 ) 

qui doit jouir des trésoris des Sultans 
préadamites^ un Prince qui a six pieds de 
haut, et dont l'œil pénètre jusqu'à la 
moelle des jeunes filles? Non, elle ne 
sanîoit rejetter une passion qui la comble 
de gloire, et elle méprisera son joujou en- 
fantin ; alors, toutes les richesses qui sont 
en ce lieu, ainsi que l'escarboucle de 
Giamchid, lui appartiendront. — Je crois 
que tu as raison, dit la première voix, et 
je vais à Istakhar, préparer le palais du 
feu sotiterrein pour recevoir les deux 
époux. 

Les voix cessèrent, les flambeaux s'é- 
teignirent, l'obscurité la plus épaisse suc- 
céda à la rayonnante clarté, et Nouroni- 
har se trouva étendue sur un sOpha, dans 
le harem de son père. Elle frapjpa des 
mains, et aussi-tôt accoururent Gulphen- 
rouz et ses femmes, qui se désespéroient 
de l'avoir perdue, et avoient envoyé les 
eunuques pour la chercher par-tout. Sha- 
ban parut aussi, et la gronda d'impor- 
tance. Petite impertinente, disoit-il, ou 



( 122 ) 

irons avez de fausses clefs, ou vous êtes 
aimée de quelque Oinn» qui vous donne 
des passe-par-touts. Je Tais voir quelle 
est votre puissance; entrez ylte dans la 
chambre aux deux lucarnes, et ne cotnptez 
pas que Gulcbenrouz vous y accom- 
pagne : allons, marchez, Madame, je vais 
vous y enfermer à double tour, A ces 
menaces, Nouronibar leva sa tête altière^ 
.et ouvrit sur Sbaban ses yeux noirs, beau- 
coup agrandie depuis le dialogue de la 
grotte merveilleuse ; va, lui dit-elle, parle 
ainsi à des esclaves ; mais respecte celle 
jq,ui est née pour donner des loix, et sou- 
mettre tout à. son empire. 

Elle alloit continuer sur le même 
ton, quand on entendit crier : voici le 
X^alife! voici leCaife^ Aussi-tôt toutes 
les portières furent tirées, les esclaves 
«e prosternèrent en doubles rangs, et 
Je pauvre petit Gulcbenrouz se cacha 
sous une estrade. D'abord^ on vit pa- 
roître une file d eunuques noirs, traînant 
:;aprè« ^eux de longues robes de mousseline 



r 



< 123 :) 

brochée d'or ; ils tenoient dans leurs mains 
des cassolettes, qui répandoient un doux 
parfum de bois d'aloës. Ensuite marchoit 
gravement Bababalouk, qui netoit pas 
trop content de la visite, et branloit la tête^ 
Yathek, habillé magnifiquement, le sui-| 
voiit de près. 8a démarche étoit noble et 
aisée; on auroit admiré sa bonne mine^ 
4]uand même il n'eût pas été le Souverain 
du monde. Il s'approcha de Nouronihar^ 
et lorsqu'il eut fixé «es yeux rayonnanSir 
qu'il avoit seulement entrevus, il fut tout 
hors de lui. Nouronihar s'en apperçut, 
^t elle les baissa aussi-tôt ; mais son 
trouble augmeutoit sa beauté, etenâam* 
moit davantage le cœur de Vathek. 
, Bababalouk, connoisseur en pareilles 
affaires, vit qu'à mauvais jeu il falloit 
faire bonne mine, et fit signe à tout le 
monde de «e retirer. Il parcourut tous 
•les coins de la salle pour voir si personne 
ne s'y étoit cachée et il vit des pieds qui 
^ortoient du bas de r.ei»trade. Bababalouk 
les tira à lui sans cérémonie, et voyant 



( 124 ) 

que c'étoieut ceux de Gulchenrouz, il le 
mit sur ses épaules, et l'emporta en lui 
faisant mille odieuses caresses. Le petit 
criôit et se' débattoit, ses joues devinrent 
rouges comme la fleur de grenade, et ses 
yeux humides étinceloient de dépit. Dans 
son désespoir, il jetta un regard si signifia 
catif à Nouronihar, que le Calife s'en ajK 
perçut, et dit : seroit-ce là votre Gulch^^ 
rouz ? Souverain du iqonde, répondit-elle, 
épar^ez mon cousin, dont l'innocence et 
la douceur ne méritent pas Totre colère. 
Rassurez-vous, reprit Vathek, en souriant ; 
il est en bonnes mains; Bababalouk aime 
les enfans, et n'est jamais sans dragées m 
confitures. La fille de Fakreddin, toute 
confondue, laissa eniporter Gulchenrogz, 
sans dire une parole. Cependant le 
mouvement du sein de Nouronihar dé- 
couvroit l'agitation de son cœur. Vathek 
en étoit transporté, et se livroît à tout lé 
délire de la plus vive passion ; on ne lui 
opposoit plus qu'une foible résistance, 
lorsque l'Emir entrant subitement, se jetta 



( 126 ) 

aux pieds du Calife, le front contre terre. 
Commandeur des Croyans, lui dit4I, ne 
vous abaissez, pas jusqu'à votre esclave. 
Non, Emir, repartit Vathek, je l'élève 
plutôt jiusqu^à moi. Je la déclare mon 
•épouse, et la gloire de votre fisLknilles'éteo- 
<ira de génération- en génération. Héks! 
Seigneur, répondit Fakreddin en s'arra- 
chant quelque poils de la barbe, abrégez 
les jours de votre fidèle serviteur, avant 
qu'il manque à sa parole. Nouronihar est 
solemnellement promise à Gulchenrouz, le 
fils de mon frère Ali Hassan; leurs cœuris 
«ont unis; la foi est réciproquement 
donnée : on ne sauroit violer des engage- 
mens aussi sacrés. Quoi! répliqua brusque- 
ment le Calife, tu veux livrer cette beauté 
divine à un mari encore plus femitie 
qu'elle! Tu crois que je laisserai flétrir 
ses charmes sous des mains si lâches ^ 
si foiblesl non, c'est dans mes bras 
qu'elle doit passer sa vie; tel est mon 
plaisir ! Retire toi, et ne trouble pas cette 
cuit, que je consacre au culte de ses at- 



( 126 ) 

traits* L'Emir outré tira alors son sabre; 
le présenta à Yathek, et tendant son col, il 
lui dit d'un ton ferme : Seigneur, frappez 
votre hôte infortuné ; il a trop vécu puis^ 
qu^il a le malheur de voir que lé Vicaire 
du Prophète viole les saintes lôix de Fhoso 
pitalité« Nouronihar, qui etoit restée in^ 
terdite pendant toute cette scène, ne put 
soutenir davantage le combat des diverses 
passions qui bouleversoient son ame. Elle 
tomba en défaillance, et Vathek, aussi 
effrayé pour sa vie, que furieux de trouver 
de la résistance, dit à Fakreddin: secourez 
votre fille ! et il se retira en lui lançant 
son terrible regard. — Le malheureux Emir 
tomba sur le champ à la renverse, baigné 
d'une sueur mortelle. 

Gulchenrouz, de son côté, s'étoit échappé 
des mains de Bababalouk, et revenoit en 
ce moment, lorsqu'il vit Fakreddin et sa 
fille étendus par terre. Il cria au secours; 
tant qu'il put. Ce pauvre enfant tâchoit 
de ranimer Nouronihar par ses caresses*. 
Pâle et haletant, il ne cessoit de baiser la 



( 127 ) 

Ixmche de son amante. Enfin, la douce 
chaleur de ses lèvres la fit revenir, et 
bientôt elle reprit tous ses sens. 

Lorsque Fakraddin fut remise de l'œil- 
tade du Calife, il se mit sur son séant, et 
regardant autour de lui .pour voir si ce 
dangereux prince étoit sorti, il fit appeller 
Shaban et Sutlemémé, et, les tirant à part, 
il leur dit : mes amis, aux grands maux,, 
il faut des remèdes violens. Le Calife porte 
l'horreur et la désolation dans ma famille ;, 
je ne saurois résister à sa puissance ; un 
autre de ses regards me mettroit au tom*- 
beaa . Qu'on me donne de cette poudre as- 
soupissante q'un Derviche m'apporta de 
l'Arracan; j'en ferai prendre à ces deux en>- 
fans une dose dont l'effet dure trois jours. 
Le Calife les croira morts. Alors, feignant 
de les enterrer, nous les porterons dans la 
caverne de la vénérable Meimouné, à l'en- 
trée du grand désert de sable,, près de la 
cabane de me» nains ; et quand tout le 
monde sera retiré, vous, Shaban, avec 
quatre eunuques choisis, vous les transe* 



( 128 ) 

porterez près du lac où vous aurez fait 
porter des provisions pour un mois. Uu 
jour pour là surprise, cinq pour les pleurs, 
«inè quinzaine pour les réflexions, et le 
reste pour se préparer à se remettre en 
marche; voilà, selon mon calcul, tout le 
tems que Vathek prendra, et j'en serai 
quitte. 

L'idée est bonne, dit Sutlemémé ; il en 
faut tirer tout le parti possible^ Nou- 
^onihar me paroît avoir du goût pour le 
dalife. Soyez sûr qu'aussi long-tems 
qu'elle le saura ici, malgré tout son at- 
tachement pour Gulchenrouz, nous ne 
pourrons pas la faire tenir dans ces mon- 
4;agnes« Persuadons-lui qu'elle est réel- 
lement morte, ainsi que Gulchenrouz, et 
que tous deux ont été transportés dans 
ces rochers, pour y expier les petites 
fautes que l'amour leur a fait commettre* 
Nous leur dirons que nous nous som- 
mes tués de désespoir, et vos petits nains, 
qu'ils n'ont jamais vus, leur paroitront des 
personnages extraordinaires. Les ser- 



( 129 ) 

jmnB qvCih le^r feront prodairobt uil 
grftiMl ^ffet mr WMy et je gage que tcmt se 
passera le mieux du monde. J'approuTe 
ton idéç, dit Fdîkr^dtQ ; mettoas la main 
^ rceuyre, 

Auwi-tôt, m allft ebepcher 1^ poudre | 
{H|i|ai)ujt dftB« du Honhetf et T^ouronir 
^ftr et (iuIqh€«rouz, sane se doiiter àtà 
riao, ftvçd[èi»0Bt Ha uiélange, Uqe heure 
ftprès, }\9 s0i)tireat des fingoissea et det 
palpitatioB€f 4e copir* Un engourdisse^ 
pieut universel â*empaFai d'euif. Ils ne 
levèrent, ^t montant l'estrade atec peine; 
Ils s^éteiidireiit sur le stoppa, {léfcbaRfifoi 

moi, ma ebèi?e Noiironihftr^ di^oit G»U 
eb^^rouz, eu la tenant étvoitemetit em-; 
brisée; mets ta main sur mon oœur : IL 
est de glace. Ah ! tu es ^us&[i ffoide que., 
moi. l<e C^Hf^ pous auroitnl tué tQUB^ 
les deux aveq. son terrible regard? Je 
meurs, repftrtit Nouronibar d'uue yoix 
éteinte, serre-moi; que du moins j'exhale 
mon. ame svr tes lèyres. Le tendre Gul- 
^'.""^ouz poussa UD profood soupir» leilrst 



( 130 ) 

bms tombèrent et ils n'en dirent pas da* 
Taotage; tous le» deux restèrent comme 
morts. 

Alors, de grands cris retentirent dans 
le harem. Shaban et Sutlemèmé jouèrent 
les désespérés avec beaucoup d'adresse. 
Xi'Emir, fâché d'en venir à ces extrémités^ 
iaisoit pour la première fois l'épreuve de 
la poudre^ et n'àvoit pas besoin de contre- 
feire l'affligé. On avoit éteint les lumières, 
à l'exception de deujc lampes qui jettoient 
Tine triste hieur sur le visage de ces belles 
fleurs, qu'on croyoit fanées dans le prin- 
tems de leur vie; et les esclaves, qui 
s'étoient rassemblés de toutes parts, res- 
tèrent immobiles au spectacle qui s'offroit 
à leurs yeux. On apporta les vêtemens 
funèbres; on lava leurs corps avec de 
r^au rose ; on les revêtit de simarres plus 
blanches que lalbâtre: et leurs belles 
tresses, nouées ensemble, furent parfumées 
des odeurs les plus exquises. 
' On -alloit poser sur leurs têtes deux 
couronnes de jasmin, leur fleur favorite, 



( 131 ) 

lorsque le Calife, qui venbit d'apprendre 
cet événement . tragique, arriva. Il étoit 
aussi pâle et hagard, que les Goules qui 
errent , la nuit dans les sépulcres. Dans 
cette circonstance, il s'oublia luinnême et 
le monde entier; il se précipita au milieu 
des esclaves^ se prosterna au pied de Ves- 
trade, et se frappant la poitrine, il se 
qualifioît d'atroce meurtrier, et faisoit raille 
imprécations contre lui-même. Mais lors- 
que d'une main tremblante, il eut levé 
le voile qui, couvroit le visage blême de 
Nouronibar, il jetta un grand cri, et tomba 
connue mort. Le chef des eunuques fit 
d'horribles . grimaces, et l'emporta sur le 
champ, en disant: je l'avois bien prévu 
que Nouronihar lui joueroit quelque mau- 
vais tour. 

Dès que le Calife fut éloigné, l'Emir 
commanda les cercueils, et fit défendre 
l'entrée du harem. . On ferma toutes les 
fenêtres; on brisa tous les instrumens de 
musique, et les Imans commencèrent à 
réciter des prières. Les pleurs et les la- 

K 2 



( 132 ) 

memtBÛaas redoublèrent dans la soirée 
qai suivit C6 jourkigubre. . Quant à Vatr 
hçk. a gém«80it en Bilence. On avoit 
été obligé d'aséeupir les ^^onvukions d^ 
fia ra^.^t de sa deuliBiuv an lui donnant 
des renèdès calmuns. . 
- A la pointe du jour suivant^ on ouvrit 
les grands battans des portes du palais^ 
let le oeuToi j»e mit ^en marche, pour se 
•rendre a la montagne. Les tristes cris de 
LeillabJlleilah parvinrent jusqu'au Ca^ 
life; Il voulut à toute fovea se cicatriser 
et suivre la pompe funèbre; jamais on 
n'auroit pu Yea dissuader, si sa grande 
foiblesse lui eut penms.de nmrclxei;: .mais 
il tomba au pr^uer pas^ «t Ton. fut obligé 
de le mettre au lit, où il resta plusieurs 
jours dans un état d'insensibilité qui fai^ 
soit pitié,. même à rËmir» . ^ 

Quand la procassion > fut arrivée a la 
grotte de Meimoilné, Shaban et Sutle- 
mémé congédièrent tout le monde. Les 
quatre eunuques affidés restèrent avec 
eux; et après s'être reposés quelques 



(( 133 )) 

bioàiens auprès àet oërciieils,. auxquels qa 
avoit laidi^é de l^ir, ils lésikrentpoàrtêrtsfuar 
les boiids d'uil petit ia<; abordé ; d'une 

r m 

inoiisse gtisêitre. Ce lieu- étiiit' le rendej&r 
TOUS àes hérons et de» cigognes qm y pêt 
Gtfo^iènt ^oif ttnuélleiiieift des petits péiseoi^i 
bleus* Lès nain$, inftmitfit pair: l'Biûr^ 
hé tardèreut pas à s'y rendre^ et>ayQ$ 
f'â,ide dèâ euAuqoês/ ils ccMkstruisirenlrtdes 
tabaned de canue» et de joiàcs ; onyrage 
dans lequel ils réussissoient à merveille* 
Ils " élevèrent aussi un magasin pour ' le» 
provisions, un petit oratoire poux eux*» 
mêmes, et une pyramide de boisk £lle 
étoit faite de bûtfaes arrangées avec beau* 
t^oup d'ejcactitude, et se^vmt à réntretieti 
du feu; cai^ il faisait froid dans I0 creux 
de ces montagnes^ 

' Vers le soir, on alluma denx grands fei}x 
sur le bord du lajc ; on lira les deux jolis 
corps dd leurs cercueils, et ils fiu^nt: posés 
tioutement dans la même cabane^ sur. un 

lit de feuilles sèches. Les deux nains se 

» 

mirent à réciter le Koran d'une voix claiœ 



( 134 ) 

et argentine. Shaban et Sutlemémé se 
tenoient debout, à quelque distance, et at- 
tendoient avec beaucoup d'inquiétude qiie 
la poudre eût fait son effet. Enfin, Nou- 
ronihar et Guichenrouz étendirent foibler 
ment les bras, et ouvrant les yeux ils re* 
gardèrent avec le plus ^rand étonn^meni 
tout ce qui les .en4:ouroit« Ils ^essayèrent 
même de se lever ; mais les Ibrees leur 
manquant, ils retombèrent sur leur Ut de 
feuilles. Aussi-tôt, Sutlemémé leur fit 
avaler d'un cordial dont l'Emir l'avoit 
munie^ 

' Alors, Guichenrouz se réveilla tout-à- 
feît, éternua bien fort, et se leva avec un 
élan qui marquoit toute sa surprise. Lors- 
qu'il fut hors de la cabàoe, il huma Tair 
avec une extrême avidité, et s'écria : je 
respire, j'entends des sons, je vois un fir- 
mament semé d'étoiles! j'existe encore, 
A ces accens chéris, Nouronihar se dé- 
barrassa des feuilles, et courût serrer Gui- 
chenrouz dans ses bras. Les longues si- 
marres dont ils étoient revêtus, leurs cou- 



( 135 ) 

f 

roanes de fleurs : et leurs pieds nuds, fu- 
rent les premières choses qui frappèrent 
ses regards. Elle cacha son visage dans 
ses mains pour réfléchir. La vision du 
bain encbjstnté, le désespoir de son pèr^ 
et sur-tout la figure majestueuse de Va- 
thek lui rouloient dans Tesprit Elle se 
ressourenoit d'avoir été malade et mou- 
rante, aussi bien que Gulchenrouz ; miôs 
toutes ces imag|s étoient confuses dans sa jt 
tête. Ce lac singulier, ces flammes r&-. 
fléchies dans les eaux paisibles, les pàl^s 
couleurs de la terre, ces cabanes bizarres \ 
ces joncs qui se balançaient tristement^ 
d'eux-mêmes, ces cigognes, dont le txy 
lugubre se mêloit aux voix des nains ; tout 
la convainquit que l'ange de la mort lui. 
avoit ouvert le portail de quelque nouvelle 
existence. 

Gulchenrouz, de s^n côté, dans des 
transes mortelles, s'étoit collé contre sa 
'cousine. Il se croyoit aussi dans le pays 
des fantômes, et s'effrayoit du silence 
qu'elle gardoit. Parle, lui dit-il enfin, où 



{ Î36 ) 

Ubininei^-i^oiis ? Vûîs*tû ces «pectrès qtkï 
remuent cfette braisé aM^ntè ? 8»oifent^cé 
Mon kir ètNèkif qui vont nous y jéttèr? 
Le fatal pbnt traversérèit-il ce îac^ ddnt 
là tïteiuqtiillité nous fcâcfte peût-ètue ttii 
â!)lmè d*eau/ bù nbûs né cesserons dé 
tomber pendàkit des siédes ? 
' N^ôn, meé ènfans, leur dît Stitléttiémé 
en s'apprtocbant d'eux, rassiirez-vous ; 
fange éxteiinittatenr qtil a conduit nos 
àhieé après les vôtre», nous à assuré qiie 
le châtiment de votre vie âioUé et volup- 
tiieùsé isèrà borné à passer unie longue 
suite d'années dans ce lieu mélancolique, 
où le soleil 'se montre â peine, où la terre 
iie produit ûi fruits ni fleurs; Voilà tfos 
gardiehs, continua-t elle, en moiîtrant lés 
nains ; ils pourvoiront à nos besoins : car 
des âmes aussi profanes que les nôtres 
fiéhneni encore un peu à leur grossière 
existence. Pour tous mets vous ne màn* 
gérez qUe du ris ; et votre pain sera trempé 
dans les brouillards qui couvrent san» 
cessé ce lâc. . - . 



A cette triste perspective, lés /pauVrèS 
enftiiié fondirent feii pleurs. Ils se pros4 
ternèrent devant les nains, qui soutènanf 
parfiiîtemerit bien leur 'personnage, Jieur 
firent, selon la coutume, un discours bien 
beau et bîeii longf, sur le chameau sacré 
qui devoit, dails qudquèfë iliillierfe d'an^ 
nées, les porter au pai'adis des âdèles. 

Le sërmôn fini, on fit dés ablutions, on 
loua Aïlàh fet le Pi^ophète, bh sotipa 
bien maigrement, et on s'en retourna aux 
fetiilles sècihes. Nourohihar et feon petit 
cousin furent bien aises de trouver ique les 
morts couchoient dans la même cabane; 
Comme ils avaient assez doribi^ ils s'en- 
tretinrent lé reste de la nùlt de ce qui 
s'étoit passé, et cela toujours en s'émbras- 
éant de peur des esprits. 

Lé lendemain matin, qui fut bien 
sombre et pluvieux, les nains montèrent 
sur de longues perches plantées eu guii^ 
de minarets, et appellèrent à la prière. 
Toute là congrégation s'assembla ; Sutle^ 
même, Shaban, les quatre eunuque^ 



'"'r*- 



( 138 ) 

quelques cigognes qui s'^nuuyoient de la 
pêche, et les deux enfans. Ceux-ci «'é- 
toient traînés languissamment hors de leur 
cabane» et comme leurs esprits étoient 
montés sur un ton mélancolique et tendre» 
ils firent leurs dévotions avec ferveur. 
Après cela, Gulchenrouz demanda à Sut* 
lemémé et aux autres, comment ils avoient 
fait de mourir si à propos pour eux. 
Nous nous sommes tués ^e désespoir 
après votre mort, répondit Sutlemémé. 
Nouronihar, qui malgré tout ce qui s'étoit 
passé, n'avoit pas oublié sa vision, s'écria : 
et le Calife ! Seroit-il mort de douleur ? 
yiendra*t-il ici? Les nains avoient le 
mot, et répondirent gravement: Yathek 
est damué sans retour. Je le crois bien, 
s'écria Gulchenrouz, et yen suis charmé ; 
eaj je pense que c'est sou horrible œillade 
^ui no«is a envoyés ici manger du riz, et 
entendre des sernK)ns. 

Une semaine s'écou^ à-peu-près de la 
méme^anière sud les bords du lac. Nou- 
ronihar penscfit aux grandeurs que son 



( m ) 

eonuyeuae mort lui avoit fait perdre; et 
Gulchearouz faisoit des prières et des pa- 
niers de joncs avec les nain^, qui lui plai- 
saient infiniment. 

Pendant que cette scène d'innocence se 
f)assoit au sein des montagnes» le Calife 
en donnolt nue autre chez l'Emir. Il 
n'eut pas plutôt repris Tusaga de ses sens, 
^u^^^yec une voi:^ qui &t tressaillir Baba* 
balou]^ ils s'écria: perfide Giaour ! c'est 
^ qui ,as tué ma chère Nouronihar ; je 
renonce à toi» et demande pardon à Ma- 
homet ; il me l'auroit conservée si j'avois 
été plus sage^ Allons» qu'on me donne 
de l'eau pour isàre mes ablutions» et que 
Je bon Fakreddin vienne ici, pour que je 
me réconcilie avec Ini et que nous fas* 
sions la prière^ Après cela» nous irons 
ensemble visiter le sépulcre de l'infortunée 
Nouronihar. le veux me faire bermite» 
et passer mes jours but cette montagne 
pour y expier mes crimes^ Et .que man-. 
gerez-vous là, lui dit Bababalouk? je n'en 
sais rien» repartit Yatbek ; je te le dirai 



1' 



^uand j'aurai appétit : te iquî ne m'arri 
fera, je croîs, de long-tems, 

L'arriréfe dé Fakrèddîn interrompit 
cette conversation. Dès que Vartiek le 
fit, il lui sauta iau col, et le baigna de Ses 
larmes, en lui disant des choses si pieuses^ 
tiMe FEmir en pleuroit de joie, et se félici* 
toit tout bas dé l'admirable conversion 
qu'il venoil d'opérer. On comprend qu*il 
n*osôit pas s'opposeï^ au péleriniage de la 
montagne ; ils se mirëùt donc chacun dan^ 
leur Ktière et partirent. 

Malgré l'attention avec laquelle on veil- 
loit sur le Calife, on ne put empêcher 
qu'il ne se fît iquelqùeé égrâtignures sur 
le lieu oii Ton disoit que Nouronihar étoit 
enterrée. L'on eut grand^peine â Pën 
arracher, et il jura solemnellement qu'il 
y revièndroit tous les jours, ce qui ne plut 
pas trop à Fakreddin ; niais il se flattoit 
que le Calife ne se hasarderoit pias plus 
avant, et qu'il se cohténteroit de faire ses 
prières dans la caverne de Meimouné ;: 
d ailleiirs, le lac étoit si caché dans les 



( 141 ) 

rochers, qu'il ne croyqit pas possible de 
le trouver. Cette sàcurité de l'Emir étoit 
augmentée par la conduite de Vath^k. Il 
tenoit bien exacteo^eqt sa résolution, et 
revenoit de I9. montagne si dévot et si conr 
Irit, que tous, lesi barbons en étoi^nt e^ 
>ex tase* 

Nourenîhar, de son côlé^ n'étoit pa^ 
iout-à'-fi^it aussi jcoqtente. Quoiqu'elle 
idmât Gulchenrouz, et qu'on la laissât libre 
-avec lui, a^n d'?tugmenter sa tendresse^ 
aile le regardoit comme un joujou qui 
u'empêchoit pas que Fescarboucle de 
<jriamchid ne fut très-dçsirable, Elle ayoit 
même quelquefois des doutes sur ^on 
état, et ne pouyoit pas comprendre que 
les morts eussent tous les besoins et les 
fantasies des vivans. Un matin, pour s'en 
écl^ireir, elle sç le^va doucement d'auprès 
de G.ulchenrouz, pendant que tout dor- 
mojt encore, et après lui avoir donné mi "^ 
baiser, elle suivit le bord du lac, et vit 
qu*il se dégorgeoit sous un rocher dont la 
cîme ne lui parut pas inaccessible, Ay "- 



i 



( 142 ) 



si-tôt elle y grimpa du mieux qu'elle put, 
et voyant le ciel â découvert, elle se mit 
à courir comme une biche qui fuit le 
thasseur. Quoiqu'elle sautât avec ta lé- 
gèreté de Tantelopc, elle fut pourtant 
obligée de s^asseoir sur quelques tamarins 
pour reprendre haleine. Elle y Êtisoit 
ses petites réflexions, et croyoit recon- 
noître les lieux, quand tout-â-coup Vathet 
se présenta à sa vue. Ce prince inquiet 
et agité avoit devancé Taurore. Lorsqu'il 
vit Nouronihar, il resta immobile. Il 
n'osoit approcher de cette figure trem^ 
blante et pâle ; mais pourtant encore 
charmante à voir. Enfin, Nouronihar, 
d'un air moitié content et moitié affligé, 
leva ses beaux yeux sur lui, et lui dit: 
Seigneur, vous venez donc manger du ri2 
avec moi, et entendre des sermons ? Om- 
bre chérie, s'écria Vathek, vous parlez! 
vous avez toujours la même forme élé- 
gante, le même regard rayonnant ! Seriez- 
vous aussi palpable ? En disant <2es mots, 
il l'embrasse de toute sa force, en répé- 



'( 143 ) 

tant san$ cesse ; mais voici de la chair, 
elle est animée d'une douce chaleur ; qu« 
veut dire ce prodige? 

Nouronihar répondit modestement ; 
vous savez, Seigneur, que je mourus la 
nuit même où voua m'honorâtes de votre 
visite. Mon cousin dit que ce fut d'une 
de vos œillades, mais je n^en crois rien ; 
elles ne me parurent pas si terribles. Gui- 
chenrouz mourut avec moi, et nous fûmes 
tous les deux transportés dans un pays 
hien triste, et où l'on fait très-maigre 
chère; si vous êtes mort aussi, et que 
vous veniez nous joindre, je vous plains, 
car vous serez étourdi par les nains et les 
cigognes. D'ailleurs, il est fâcheux pour 
vous et pour moi, d'avoir perdu les tré- 
sors du palais souterrein qui nous étoient 
promis. 

A ce nom de palais souterrein, le Calife 
suspendit ses caresses, qui avoient déjà 
été assez loin, pour se faire expliquer ce 
que Nouronihar vouloit dire. Alors elle 
lui raconta sa vision, ce qui l'avoit suivie. 



et ri^îstoîre de gfa prétendue mort; ellf 
lui dépeignit le lieu d'expiation d'où ^Uç 
s^étoit échappée, d'un manière qui l'au- 
roit fait rire, s'il n'avoit p^.s été très-sé- 
rieusement occupé. Elle n'eut pas plu- 
tôt cessé de parler, que Vath^k la r^re- 
iiant dans ses brai^, lui dit; ftllons,^ Iiv 
mière de ipes yeux, tout est dévoilé. 
Npus soTpmes tpus deux pleins de vie : ror 
tf e père est un fripon qui nous a trompé^ 
pour nous séparer ; et If Giaour, qui, ^ 
ce que je comprends^ veut nous faire 
voyager eosem^e, ne vaut guêres mieux- 
Ce n^ sera pas du moins de long-tems» 
qu'il nous tiendra dans «on palais de feu. 
-Jf'iattaçbe plus d^ valeur à votre belle perr 
BOipe^ qu'à tous les trésors des sultans 
préadamites ; et je veux la posséder â 
mon aise, et en plein air pendant bien des 
lunes, avant que d'aller m'enfouir sous 
terre. Oubliez ce petit sot die Gulchen- 
rouz, et . . Ab, Seigneur, ne lui faites point 
de mal, interropipit Nouronihar. Non, 
non, reprit Vathek ; je vous ai déjà iiit 



1 



( 145 ) 

de ne rein craindre pour Jui ; il est tro]p 
pétri de lait et de sucre pour que j'^n sois 
jaloux : nous le laisserons avec les naind 
(qui par parenthèse sont mes anciennes 
connoissances) c'est une compagnie qui 
lui convient mieux que la vôtre. Au 
reste, je ne retournerai plus chez votre 
père; je ne veux pas Tentendre lui et. ses 
barbons, me criailler aux oreilles que je 
viole les loix de l'hospitalité, comme si 
ce n'étoit pas un plus grand honneur pour 
vous d'épouser le Souverain du monde, 
qu'une petite fille habillée en garçon. 

Nouronihar n'eut garde de désapprou- 
ver un discours aussi éloquent. £lle au- 
roit seulement voulu que l'amoureux Mo- 

r 

narque eût marqué un peu plus d'ardeur 
pour l'escarboucle de Giamchid; mais 
elle pensa que cela viendroit en son tems, 
et demeura d'accord de tout, avec la sou- 
mission la plus engs^geante. 

Quand de Calife le jugea à propos, il 
lappella Bababalouk qui dormoit dans la 
caverne de Meimouné, et revoit que le 



( 14^ ); 

fantôme de Nouronihar l'avoit replis sur 
l'escarpolette» et lui dounoit un tel branle^ 
que tantôt il planoit au-dessus des mon^ 
tagnes^ et tantôt touchoit aux abîmes* 
A la voix de son maître, il s'éveilla en sur^ 
sauty courut tout essoufflé, et pensa tomber 
à la renverse, lorsqu'il crut voir le spectrq 
auquel il venoit de rêver. Ah ! Seigneur, 
s'écria*t-il en reculant dix pas, et mettant 
sa main devant ses yeUx : est-ce que vous 
déterrez les morts? Faites-vous aussi le 
métier de Goule ? Mais n'e^érei pas de 
manger cette Nouronihar ; après ce q u'elle 
m'a fait souffrir, elle sera assez méchante 
pour vous manger vous-même. 

Cesse de faire l'imbécille^ dit Vathek { 
tu seras bientôt convaincu que celle que 
je tiens dans mes bras, est Nouronihar, 
bien fraîche et trè^ vivante. Va faire 
dresser mes tentes dans une valée que j'ai 
remarquée ici près ; je veux y fixer mon 
habitation avec cette belle tulipe dont je 
ranimerai les couleurs. Fais en sorte de 
nous pourvoir de tout ce qu'il faut pour 



( 147 ) 

mener une vie voluptueuse jusqu'à nouvel 
ordre. 

lues nouvelles d'un incident aussi fâ- 
cheux parvinrent bientôt aux oreilles de 
r£mir. Au désespoir de ce que son stra- 
tagème n'avoit pas réussi, il s'abandonna 
à la douleur, et se barbouilla duement le 
visage avec de la cendre ; ses fidèles barr 
bons en firent autant, et -son palais tomba 
dans un afireux désordre. Tout étoit 
négligé ; on nerecevoit plus les voyageurs, 
on ne faisoit plus d'emplâtres; et à la 
place 4^ l'activité, charitable qui rjègnoit 
dans cet asyle, ceux qui l'habitoient n'y 
montroient plus que des. visages d'une 
coudée de long ; ce n'étoit que gémisse- 
mens et barbouillages. 

Cependant Gulçhenrouz étoit resté pé- 
trifié, en ne trouvant plus sa cousine. Les 
nains n'étoient .pas moins surpris que lui. 
Sutlemémé seule, plus fine qu'eux tous, 
soupçonna d'abord ce qui étoit arrivé. On 
amusa Gulçhenrouz avec la belle espé- 
rance qu'il retrouveroit Nouronihar dans 

l2 



( 148 ) 

quelque endroit des moiïtagiiés, où la terre 
jonchée de fleurs d'orange et de jasmin, 
offriroit des lits plus agréables que ceux 
des cabanes, où l'on chanteroit au son des 
luths, et où l'on îroit à la chasse des pa- 
pillons. 

Sutlemémé étoit dans le fort de ses de- 
scriptions quand un des quatre eunuques 
la tira à part, lui éclaircit lliistoirè de la 
fuite de Nouronihar, et lui remit les ordres 
dé l'Emir. Aussi-tôt elle tint conseil avec 
Shaban et les nains ; On plia bagage ; on 
se mit dans une chaloupe, et on* vogua 
tranquillement. Gulchenrouz s'accommo- 
doit de tout ; mais lorsqu'on arriva à l'en- 
droit où le lac se perdoit sôiis la voûte du 
rocher, que la barque y fut entrée, et que 
Gulchenrouz se vit dans une parfaite ob- 
scurité, il fût saisi d'une peur horrible et 
jetta des cris perçans ; car il croyoît qu'oa 
alloit le damner entièrement, pour avoir 
trop fait le vivant avec sa cousine. 
, Pendant ce tems, le Calife, et celle qui 
régnoit sur son cœur, filoient des jourfe 



( 149 ) 

heureux. Bababalouk avoit fait dresser 
les tentes et fenper les deux entrées de la 
yaUée avec des paravents magnifiques^ 
doublés de toile . des Indes, et gardés par 
des esclaves Ëthiopiçns, le.sabre à la main« 
Ppur maintenir le gazon de cette belle en* 
ceinte dans une. fraîchevir perpétuelle, de9 
eunuques blancs ne cessoient den faire 
le tour avec des arrosoirs de vermeiL 
L'air, auprès du pavillon impérial, étoit 
sans cesse agité par le mouvement des 
éventails ; un jour tendre qui passoit au 
travers des mousselines éclairoit ce lieu 
de volupté, et le Calife y jouissoit en plein 
des charmes de Nouronihar, Enivré de 
délices, il écoutoit avec transport sa belle 
voix, et les accords de son luth. De sou 
coté, elle étoit ravie d:'entendre les de- 
scriptions qu'il lui faisoit de Samarah^ 
et de sa tour remplie de merveilles. Elle 
fie plaisôit ,sur-tont à lui faire répéter 
l'aventure de la boule, et celle dé la cr^ 
vasse où le Giaour se tenoit auprès du 
portail débéne. 



( 15Ô ) 

Le jour s^écouloit dans ces entretiens^ 
et la nuit ces amans se baignoient ensem- 
ble dans un grand bassin de marbre noir, 
qui relevoit admirablement la blancheur 
de Nouronihar. Bababalouk, avec qui 
cette belle étoit rentrée en grâce, prenoit 
«oin que leurs repas fussent servis avec la 
plus grande délicatesse; c'étoit toujours 
quelques mets nouveaux; et il fit chercher 
À Schiraz un vin pétillant et délicieux, 
encavé avant la naissance de Mahomet. 
On cuisoit dans de petits fours pra- 
tiqués dans le roc, des pains au lait que 
Nouronihar pétrissoit de ses mains déli- 
cates ; ce qui leur donnoit une saveur si 
fort au gré de Vathek, qu'il en oublioit 
tous les ragoûts que ses autres femmes 
lui avoient faits; aussi ces pauvres dé- 
laissées se mouroient^lles de chagrin chez 
TEmir. 

La sultane Dilara, qui j^isqu'alors avoit 
été la favorite, prenoit cette négligence à 
cœur avec une énergie qui étoit dans son 
caractère. Dans le cours de sa faveur, 



( i5I ) 

elle'atoit été imbue ded idées extirâva- 
gantes de Vatheki et brûloit de voii* le^ 
tombeaux d'Istakhar^ çt le palais des 
quarante colonnes ; élevée d'ailleurs par^ 
mi les mages, elle se réjouissoit de voir le 
Calife prêt à s'adonner au culte du feu : 
ainsi là vie voluptueuse et fainéante qu il 
menait avec sa rivale, Taffligeoit double- 
ment. La piété passagère^de Yathek, lui 
avoit donné de vives alarmes ; ceci étoit 
pis encore. Elle prit donc le parti d'écrire 
à la princesse Carathis, pour lui appj^en 
dre que tout alloit mal, qu'on avoit 
manqué net aux conditions du parchemin, 
qu'on avoit mangé, couché et fait vacarme 
chez un vieil Emir, dont la sainteté étpit 
fort redoutable, et qu'enfin i] n'y avoit 
plus d'apparence qu'qn eût jamais les tré- 
sors des sultans préadamites. Cette 

4 

lettre fut confiée à deux bûcherons, qui 
coupoient du bois dans une des grandes 
forêts de la montagne, et qui connoissant 
les routes les plus courtes, arrivèrent en 
^}jç jours à Samarah. 



( Ï52 > 

La princesse Oaraliiis jouoit aux échecs 
avec M orakanabad, quand . les messagers 
arrivèrent. Depuis quelques s^naines 
elle avoit abandonné les hautes régions de 
sa tour, parce que tout lui sembloit en 
confusion parmi les astres, lorsqu'elle les 
consultoit pour son fils. Elle avoit beau 
répéter ses fumigations, et s'étendre sur 
les toîts, dans Tespérance d^avoir des 
visions mystiques ; elle ne revoit que pièces 
de brocard, . bouquets et autres tiiaseries 
pareilles. Cela l'avoit jettée dans un 
abattement dont toutes les drogues qu'elfe 
compoBoit ne pouvoient la tirer, et sa 
dernière ressource étoit Morakanabad, 
bon homnoe, plein d'une honnête confiance, 
mais qui, dans sa compagnie, ne se trou-^ 
voit pas sur des roses. 

Comme personne ne savoit des nouvelles 
de Vathek, mille histoires ridicules se 
ti répa|4oient sur son compte. ' On conçoit 
donc avec ' quelle vivacité Carathis déca- 
cheta là lettre, et quelle fut sa rage lors- 
qu'elle apprit la lâche conduite de son fils« 



( 153 > 

Ah ! ab ! 'dit>elle ; je périrai, ou il péné^ 
trera dans le palais du feu ; que je meune 
dans les flammes, et que Vathek règne 
sur le trône de Suleïmanf En. parlant 
ainsi, elle fit la pirouette d'une manière sî 
magique et ai effroyable, que Morakanaf- 
bad en t*ecula de terreur ; elle commanda 

r 

de préparer son grand chameau Albou* 
Iaki, et de faire venir la hideuse Nerkès 
et rimpitoyable Cafour: je ne veux pas 
d'autre train, dit-elle au visir ; je vais pour 
affaires pressantes, ainsi trêve de parade ; 
vous aurez soin du peuple; plumez le 
bien dans mon absence ; car nous dépeur 
sons beaucoup, et on ne sait pas ce qui 
arrivera. 

La nuit êtôit très noire, et il souffloit de 
la pl^ne de Catoul un vent mal sain, qui 
auroit rebuté le voyageur le plus intré- 
pide ; mais Carathis se plaisoit beaucoup 
a tout ce qui étoit funeste : Nerkès en 
pensoit deméme ; et Cafour avoit un goût 
particulier pour les pestilences. Au ma- 
tin, cette gentille caravane, guidée par lea 



/ 



( 154 S 

deux bûcherons, s'arrêta sur les bordai 
3*un grand marais d'où s'exhaloit une va- 
peur mortelle, qui auroit tué tout autre 
animal qu'Alboufaki, qui naturellement 
ponipoit avec paisir ces malignes odeurs. 
Les paysans supplièrent les dames de ne 
pas dormir dans ce lieu. Dormir! s'écria 
Carathis ; la belle idée ! Je ne dors; ja- 
mais que pour avoir des visions; et, quant 
à mes suivantes, elles ont trop d'occupa- 
tions pour fermer le seul œil qui leur 
reste. Les pauvres gens qui commen- 
çoient à ne pas trop se plaire dans cette 
compagnie, restèrent la gueule béante^ 

Carathis mit pied à terre, aussi biea 
que les négresses qu'elle avoit en croupe ; 
et toutes s'étant mises en chemise et eii 
caleçons, elles coururent à l'ardeur du so* 
leil pour cueillir des herbes vénéneuses, 
dont il y avoit à foison le long du maré- 
cage. Cette provision étoit destinée poui 
la famille de TEmir, et pour tous ceujf 
qui ponvoient apporter le moindre empéi- 
èhement au voyage d'Istakhar* Les^ hù^ 



( 155 ) 

chérons môuroîent de peur, en voyant 
courir ces trois horribles fantômes, et ne 
goûtoient pas trop la société d'Alboufaki. 
Ce fut bien pire lorsque Carathis leur or- 
donna de se mettre en route, quoiqu'il fût 
midi et qu'il fît une chaleur à calciner les 
pierres ; malgré tout ce qu'ils purent dire,- 
il fallut obéir. 

. Alboufaki qui aimoit beaucoup la so** 
litude, renifloit quand il appercèvoit la 
moindre habitation, et Carathis le gâtant 
à sa manière, se détournoit tout de suite. 
Il arriva de là que les paysans ne purent 
pas prendre la moindre nourriture sur la 
route. Les chèvres et les brebis, qite la 
Providence sembloit leur envoyer, et dont 
le lait auroit pu les refraichir un peu, 
s'enfuyoient à la vue de l'hideux animal 
et de son étrange charge. Pour Carathis, 
elle n'avoit nul besoin de ces alimens 
communs, ayant inventé depuis long^tems 
une opiate qui lui suffisoit, et dont elle 
faisoit part à ses chères muettes. * 

A la nuit tombante, Alboufaki s'arrêta 



{ 156 ) 

tout court, et frappa du pied. Carathîs 
connoissoit ses allures, et comprit qu'elle 
devoit être dans le voisinage d'un cime^ 
tière. En effet, la lune jettoit une pâle 
tueur qui lui fit bientôt entrevoir une lon- 
gue muraille, et une porte à demi ouverte 
et si élevée, qu'elle pouvoit y faire passer 
Alboufaki. Les misérables guides, qui 
touchoient à l'extrémité de leurs jours, 
prièrent alors humblement Carathis dé les 
enterrer, puisqu'elle en avoit là commor 
dite, et rendirent l'ame. Nerkès et Cafour 
plaisantèrent à leur manière sur la sottise 
de ces gens, trouvèrent l'aspect du cime- 
tière fort à leur gré, et les sépulchres bien 
réjouissans ; il y en avoit au moins deut 
mille sur la pente d'une colline. Carathis 
trop occupée de ses grandes vues pour 
s'arrêter à ce spectacle, quelque charmant 
qu'il fût à ses yeux, s'avisa de tirer parti 
de sa situation. Assurément, se disoit* 
elle, un si beau cimetière est hanté par les 
Goules ; cette espèce ne manque pas d'in^ 
telligence ; comme j'ai laissé mourir mes 



( 157 ) 

bêtes de guides faute d'attention^ je de- 
manderai mon chemin aux Goules, et pour 
les amorcer, je les inviterai â se régaler de 
ces corps frais. Après ce sage monologue, 
elle parla des doigts a Nerkès et a Cafour, 
leur disant d'aller frapper aux tombeaux, 
et d'y faire entendre leur joli ramage. 

Les négresses, toutes joyeuses de cet 
ordre, et qui se promettoient beaucoup 
de plaisir dans la compagnie des Goules, 
partirent avec un air de conquête, et se 
mirent à faire toc, toc, contre les sépul- 
chres. A mesure qu'elles frappoient, on 
entendoit un bruit sourd dans la terre, les 
sables se remuoifent, et les Goules attirés 
par la fraîcheur des nouveaux cadavres, 
sortoient de toutes parts avec le nez en 
l'air. Tous se rendirent devant un cer- 
cueil de marbre où Carathis étoit assise 
entre les deux corps de ses malheureux 
conducteur». Cette princesse reçut son 
mondé avec une politesse distinguée, et 
après avoir soupe, on parla d'aiSaires. 
Elle apprit bientôt ce qu'elle desirok 



( 158 ) 

savoir, et sans perdre de teins voulut se 
remettre en marche : les négresses qui 
avoient commencé des liaisons de cœur 
avec les Goules, la supplièrent de tous 
leurs doigts d'attendre au moins jusqu'à 
l'aurore ; mais Carathis, qui étoit la vertu 
même et ennemie jurée des amours et de 
la mollesse, rejetta leur prière, et mon- 
tant sur Alboufaki, leur ordonna de s'y 
placer au plus vite. Pendant quatre 
jours et quatre nuits, elle continua son 
voyage sans s'arrêter. Le cinquième, elle 
traversa des montagnes et des forêts à 
demi brûlées, et arriva le sixième devant 
les beaux paravents,, qui déroboient à 
tous les yeux les voluptueux égaremens 
de son fils. 

C'étoit la pointe du jour : les gardes 
ronfloient à leurs postes en pleine sé- 
curité ; le grand trot d'Alboufaki les ré- 
veilla en sursaut; ils crurent voir des 
spectres sortis du noir abime, et s'enfui- 
rent sans autre cérémonie. Vathek étoit 
au bain avec Nouronihar ; il écoutoit de» 



( 159 ) 

conteH et se moquoit de Bababalouk qui 
les faisoit. Alarmé par les cris de ses 
gardes, il sauta hors de l'eau ; mais il y 
rentra bien vîte lorsqu'il vit paroitre Ca- 
rathis : elle avançoit avec ses négresses et 
toujours mqntée sur Alboufaki, et met- 
toit en pièces les mousselines et les fines 
portières du pavillon» A cette appari*- 
tion subite, Nouroni]bar, qui n'étoit pas 
toujours sans remords, crut que le mo- 
ment de la vengeance céleste étoit arrivé» 
et se colla amoureusement contre le Ca-. 
life. Alors Carathis, sans descendre de 
son chameau, et écumante de rage au 
spectacle qui s'offroijt à sa chaste vue^ 
éclata sans ménagement. Monstre à 
deux têtes et à quatre jambes, s'écria- 1- 
•elle, que signifie tout ce bel entortillage? 
N'as-tu pas honte d'empoigner ce tendron 
au lieu des sceptres des sultans préada- 
mites ? C'est donc pour cette gueuse que 
tu as follement manqué aux conditions 
du Giaour? C'est avec elle que tu con- 
sumes des momens précieux? Est-ce là 



( 160 ) 

le. fruit que tu retires des belles connoîs^ 
sauces que je t'ai dounées ? Est-ce ici le 
but de tou voyage ? Arrache-toi des bras 
de cette petite niaise ; noye-la dans l'eau; 
et suis-moi. 

Dans son premier mouvement de fu- 
reur, Vathek avoit eu envie d'éventrer Al- 
boufaki, et de le farcir des négresses, et 
même de Carathis ; "oisÀs les idées du 
Giaour, du palais d'Istakhar, des sabres 
et dès talismans, frappèirent son esprit 
avec la rapidité d'un éclair. Il dit donc 
à sa mère d un ton civil, quoique résolu : 
redoutable dame, vous serez obéie; mais 
je ne noyerai pas Nouronihar. Elle est 
plus douce que le mirabolan confit ; elle 
aime beaucoup les escarboucles, et sur- 
tout celui de Giamchid qu'on lui a pro- 
mis ; elle viendra avec nous, car je pré- 
tends qu'elle couche sur les canapés de 
Suleïman ; je ne puis plus dormir sans 
elle. A Ja bonne heure, répondit Cara- 
this, en descendant d'Alboufaki, qu'elle 
remit entré les mains des négresses: 



(• K51 ) 

IVcmromhar, xj^ni n'avoît pas lâcb^ prise, 
9e rassura un peu» et dit tiendrètnent; au 
Calife;* cher souverain de mon coeur, je 
TOUS suivrai, s'il le faut, jusqu'au-delà de 
Gaf dans le pays des Afrites ; je ne crain-, 
dral pas de grimper pour vous au nid de 
}a Simorgùe, qui, après Madame, «st l'être 
le plus respectable qui ait été créé. 
Voilà, dit Carathis, une jeune fille qui a 
du courage et des connoissances. Non- 
fonibar en avoit assurément ; mais malgré- 
toute «a fermeté, elle ne pouvoit s'em-» 
pêcher de penser quelquefois aux gràcéS; 
de son petit Gulcbenrouz,/et aux journéea 
de tendresse qu'elle avoit passées avec 
lui; quelques larmes mouillèrent se» 
yeux et n'échappèrent pas aîu Calife ; elle 
dit même tout haut et par inadvertence ; 
hélas ! mon doux cousin, que deviendrez- 
vous? A ces mots, Vathek fronça le 
sourcil, et Garathis s'écria ; que signifient 
ces grimaces, qu'a-t-elle dit? Le Calife 
répondit; elle donne mal-à-propos im 
foupirà un petit garçon aux ye^x làiv 

M 



/" 



( 162 ) 

goureiix et aux douces tresses qui Tai- 
luoit. Où est-il ? repartit Carathis^ il faut 
que je ^sse cônnoissance avec ce joli en- 
fiant; car, poursuivit-elle tout bas, j'ai 
dessein avant de partir, de me remettre 
en grâce avec le Giaour ; il n'y aura 
rien de plus appétissant pour lui que le 
cœur d'un enfant délicat, qui s'abandonne 
aux premières impulsions de l'amour. 

Yathek, en sortant du bain, donna ordre 
à Bababalouk de rassembler ses troupes,' 
ses femmes, et les autres meubles de son 
sérail, et de tout préparer pour partir 
dans trois jours. Quant à Garàthis, elle 
se retira seule dans une tente, où le Giaour 
l'amusa avec des visions encourageantes. 
A son réveil, elle vit à ses pieds Natfkès 
et Cafour, qui, par leurs signes, lui ap- 
pirent qu'ayant mené Alboufaki aux bordg 
d'un petit lac pour y brouter une mouise 
grise passablement vénéneuse, elles avoi- 
ent vu des poissons bleuâtres, comme ceux 
du réservoir au haut de la tour de Sama- 
Tah. Ah! ah! dit-elle, je veux aller SU|^ 



( 16à ) 

les lieux à Imstant même; an moyen 
d'une petite opération, je pourrai rendre 
ces poissons oraculaires ; ilis m'écJàircirbnt 
beaucoup de choses, et m'apprendront où 
est ce Gulchenrouz que je veux absolu- 
ment immoler. Aussi-tôt elle partit avec' 
son noir cortège. 

Comme on va vite dans les mauvaises 
entreprises, Carathis et ses négresses ne 
tardèrent pas d'arriver au lac. Elles brû- 
lèrent des drogues magiques dont elles 
étoient toujours munies, et s^étant deshabil- 
lées toutes nues, elles entrèrent dans l'eau 
jusqu'au col. Narkès et Cafour secouèrent 
des torches enflammées, tandis que Gara- 
this prononçoit des mots barbares. Alors, 
tous les poissons mirent la tête hors de l'eau, 
qu'ils agitoient fortement avec leurs nage- 
oires; et contraints par la puissance du 
charme, ils ouvrirent des bouches pitoy- 
ables, et dirent tous à la fois : nous vous 
tsommes dévoués depuis la tête jusqu'à la 
queue; que voulez-vous de nous? Poissons, 
dit Carathis, je vous conjure par vos bril- 

MJ2 



( 164 ) 

lantes écailles de me dire où est le petit Gui' 
chenrouz? — :De l'autre côté de ce rocher. 
Madame, répondirent tous les poissons en 
chœur; êtes-vous contente? Nous ^e le 
sommes pas du tout de tenir ainçi la bouche 
ouverte au grand air. Oui, repartit la 
princesse, je vois bien que vous n'êtes pas 
accoutumés à de longs discours, je vous 
laisserai en repos, quoique j'aurois bien, 
d'autres questions à vous faire. Sur cela, 
l'eau devint calme, et les poissons dispa^ 
rurent 

. Carathis, remplie du venin de 6es pro* 
jets, escalada tout de suite le rocher, et 
vit sous une feuillée l'aimable Gulcheur 
rouz qui dormoit, tandis que les deux 
nains veilloient auprès de lui, et marmo<< 
toient leurs oraisons. Ces petits person- 
nages avoient le don de deviner quand 
quelque ennemi des bons Musulmans ap- 
prochoit; ils sentirent donc venir Cara- 
this qui, s'arrêtant tout court, se disoit à 
elle-même: comme il penche mollement 
sa petite tête! comme il est langoureux 



( 165 ) 

et blême ! c'est précisément l'enfant qu'il 
me faut. Les nains interrompirent ces 
belles réflexions en se jettant sur elle, et 
en legratignant de toutes leurs forces. 
Narkès et Cafour prirent aussi-tôt la dé- 
fense de leur maitresse, et pincèrent les 
iiains si fortement, qu'ils en rendirent 
1-ame, en priant Mahomet de faire tomber 
sa vengeance sur cette méchante femirie, 
et sur toute sa famille. 
• Au bruit que cet étrange combat faisoit 
dans le vallon, Gulcbenrouz s'éveilla, fit 
im furieux bond, grilhipa sur un figuier, et, 
gagnant la cîme du rocher, courut sans 
prendre haleine ; enfin, il tomba comme 
mort entre les bras d'un bon vieux Génie 
qui chérissoit les enfans, et s'occupoit en- 
tièrement à les protéger. Ce Génie, fai- 
sant sa ronde dans les airs, avoil fondu 
»ur le cruel Giaour lorsqu'il grommeloit 
dans son horrible fente, et lui avoit enlevé 
les cinquante petits garçons que Vathek 
avôît eu l'impiété de lui sacrifier. Il édu- 
quoit ces intéressantes créatures dans dçs 



( 166 ) 

nids élevés au-dessus des nuages, et habji* 
toit lui-même un nid plus grand que tous 
les autres ensemble, dont il avoit chassé les 
rocs qui l'avoient construit. 

Ces sûrs asyles étoient défendus contre 
les Dives et les Afrites par des banderolles. 
flottantes, sur lesquelles étaient écrits en 
caractères d'or, brillans comme Téclair, les 
noms d'Allah et du Prophète. Alors 
Gulchenrouz, qui n'étoit pas encore dés* 
abusé sur sa prétendue mort, se crut dans 
les demeures d'une paix éternelle. .Il 
s'abandonnoit sans crainte aux caresses de 
ses petits amis, qui tous se rasâenibloient 
dans le nid du vénérable Génie, et. à Tenvi 
l'un de l'autre, baisoient le front uni, et les 
' belles paupières de leur nouveau cama- 
rade. C'est là qu' éloigné des tracasseries 
de la terre, de l'impertinence des harems, 
de la brutalité des eunuques et de l'in- 
constance des femmes, il trouva sa vérita- 
ble place. Heureux, ainsi que ses cotn- 
pagnons, les jours, les mois, les années 
s'écoulèrent dans cette société paisible; 



( 167 ) 

car le Génie, au lieu de combler ses pu* 
piles de raines connoissances, et de péris- 
sables richesses les gratifioit du don d'une 
perpétuelle enfance. 

Carathis, peu accoutumée à voir échap- 
per sa proie, se mit dans une colère épou- 
vantable contre les négresses, qu'elle ac- 
cusoit de nWoir pas saisi l'enfant tout de 
suite, et de s'être amusées à pincer jus- 
qu'à le mort de petits nains qui ne signi- 
fioient rien. Elle revint dans la vallée 
en murmurant; et, trouvant que son fils 
n'étoit pas encore levé d'auprès de sa 
belle, elle passa sa mauvaise humeur sur 
lui et sur Nouronihar, Toutefois elle se 
consola par l'idée de partir le lendemain 
pour tstakhar, et de faire connoissance 
avec Eblis même, au moyen des bons of- 
fices du Giaoùr ; mais le destin en avoit 
ordonné autrement. 

Sur le soir, comme cette princesse s'en- 
tret^noit avec Dilara qu'elle avoit fait 
venir et qui étoit fort de son goût, Baba- 
balouk vint lui dire que le ciel paroissoit 



C Î6& l 

fort embrasé du côté. die Samarah, et sem^^ 
bloit annoncer quelque chose de funeste^ 
Sur le champ, elle prit ses astrolabes et 
ses instrumens magiques, mesura la hau^ 
teur des planètes, fit ses calculs, et vit, 
à: son grand déplaisir, qu'il y avoit là 
une révolte formidable; que Motavekel 
profitant de lliorreur qu'inspiroit sou 
frère, avoit soulevé le peuple, a'éteit em- 
paré du palais, et faisoit le siège de la 
grande tour, où Morakanabad s'étoit retiré 
avec un petit nombre dQ ceux qui rea- 
toient encore fidèles,; Quoi! s'écrîa-t-elle^ 
je perdrois ma tour, mes muets, mes, né^ 
grasses, mes, momies, et surtout mon ca^ 
binet d'expériences qui m'a coûté tant de 
veilles, et cela sans savoir si taon étourdi 
de fils. viendra à bout de son aventure! 
Non, je n'ep serai pas. la dupe; je par^ 
dans rinstant pour secourir M o?akanaba4 
par mon art redoutable, et faire pleuvoir 
sur les conspirateurs, des clous, et. des fer- 
railles ardentes; j'ouvrirai mes magasins 
4ç serpeus et. de tQrpèdes,, qtji i^onjt; soqfi; 



< 169 ) 

les grandes voûtes, de la tour et que la 
faim a rendus, enragés,. et nous verrons si 
l'on tiendra contre de tels assaillans.. En 
parlant ainsi,. Carathis courut: à son fils; 
qui banquetoit tranquillement avec Nou- 
ronihar dans son beau pavillon incarnat. 
Goulu, que tu es, lui dit-e:lle; sans ma 
vigilance, tu ne serais bientôt que le,Ck)nï- 
mandeur des tourtes; teS; Croyans ont 
rjenié la foi qu'ils t'avoient. jurée ; Mota- 
vekelj ton frère, règne; .dans ce; momeut 
^ur la . colline des chevaux pies ; et si je 
n'avois pas quelques petites* ressources 
dans, notre tour, il ne lâcheroit prise d|B 
$i-tôt. Mais afin; de ne pas perdre de 
tems, je ne te dirai que. quatre mots ; plie 
tes tentes, pars ce soir même, et ne t'arrête 
nulle part à baliveçner. Quoique tu aies 
pianqué aux conditions du. parchemin, il 
ine reste encore. quelques espérances ; car, 
il faut avouer que tu as fort joliment violé 
Içs loix de l'hospitalité, en séduisant, la 
^Ue de l'Ëmir^ après avoir niangé de son 
jsel et de. sjon pain. Ces sortes, de ma» 



i^XL. 



( 170 ) 

iiières ne peuvent que plaire au Giaour ; et 
si, dans la route, tu fais encore quelque pe- 
tit crime, tout ira bien, et tu entreras en 
triomphe dans le palais de Suleïman. 
Adieu! Alboufaki et mes négresses m'at- 
tendent à la porte. 

Le Calife n'eut pas le mot à répondre; 
il souhaita un bon voyage a sa mère, 
et finit son souper. A minuit, on dé- 
campa au bruit des fanferes et des tromi- 
pettes ; mais on avoit beau tymbaler, on 
ne pouvoit s'empêcher d'entendre les cris 
de TEmir et de ses barbons, qui à force 
de pleurer, êtoient devenus aveugles, et 
n'avoient pas un poil de reste. Nouroni- 
har, à qui cette musique faisoit de la peine» 
fut fort aise quand elle ne fut plus à portée 
de l'ouir. Elle étoit avec te Calife dani^ 
la litière impériale, et ils s^amusoient à se 
représenter toutes les magnificences dont 
ils dévoient être bientôt entourés. Les 
autres femmes se tenoient bien tristement 
dans leurs cages, et Dilara prenoit pa- 
tience, en pensant qu'elle alloit célébrer 



( iri ) 

les rites du feu sur les augustes terrasses 
dlstakhar. 

£q quatre jours, ou se trouva dans la 
riante vallée de Rocnabad. Le printems y 
étoit dans toute sa vigueur; et les branches 
grotesques des amandiers en fleurs, se 
découpoient sur Fazur d'un ciel étincelant. 
La terre jonchée d'hyacinthes et de jon- 
quilles, exhaloit une douce odeur; des 
milliers d'abeilles, et presque autant de 
Santons, y faisoient leur demeure. On 
voyoit alternativement rangés sar les 
bords du ruisseau, des ruches et des ora- 
toires, dont la propreté et la blancheur 
étoient relevées par le verd brun des hauts 
cyprès. Ces pieux solitaires s amusoient 
à cultiver de petits jardins, remplis de 
fruits, et sur-tout .de melons musqués, les 
meilleurs de la Perse. Quelquefois on les 
voyoit épars dans la prairie, s'amusant à 
nourrir des paons plus blancs que la 
neige, et des tourterelles azurées. 11^ 
étoient ainsi occupés, quand les avant- 
coureurs du cortège impérial crièrent à 



( 173 ) 

kaute Toîx : habitons de Rocnàbad, pros- 
ternez-vous sur les bords de vos source^ 
limpides, et rendez grâces, au ciel qui 
vous montre un rayon de sa gloire; car 
voici le Commandeur des Croyans qui 
approché. 

. Les pauvres Santons, remplis d'un saint 
«mpressement, se hâtèrent d'allumer des 
cierges dans tous les oratoires, déployé- 
cent leurs Korans i^ur des lutrins d'ébène^ 
et allèrent au devant du Calife, avec de 
petits paniers remplis de figues, de mielet 
de melons.. Pendant qu'ils s'avançoient en 
procession et à pas comptés, les chevaux; 
les chameaux et les gardes, faisoient un 
borrible dégât parmi les tulipes, et les 
autres fleurs de la vallée. Les Santons 
ne pouvoient s'empêcher de jetter un œil 
de pitié sur ces ravages, tandis que de 
l'autre, ils regardoient le Calife et le Ciel; 
Kouronihar< enchantée de ces beaux lieux 
qui lui.rappelloientlei^ aimables solitudes 
de son enfance, pria Vathek de s'arrêter^ 
mais ce prince, pensait que tous ces petits 



( 173 ) 

oratoires pourroient passer dans leâprit 
du Giaour pour une habitation, ordonna 
à ses pionniers de les abattre. Les Sau-» 
tons restèrent pétrifiés pendant qu'on exé- 
cutoit cet ordre barbare ; ils pleuroient à 
chaudes larmes, et Yathek les fit chasser 
à coups de pieds par des eunuques. Alors,, 
il descendit de sa litière avec Nouronihar, 
et ils se promenèrent dans la prairie, tout 
en cueillant des fleurs et en se disant des 
gaillardises; mais les abeilles^ quiétoient 
bonnes musulmanes» se crurent obligées 
de venger la querelle de leurs chers maî- 
tres les Santons, et s'acharnèrent telle* 
ment à les piquer, qu'ils furent trop heu^ 
reux que leurs tentes se trouvassent prêter 
pour les recevoir. 

Bababalouk,, auquel Tembonpoint deë 
paons et des tourterelles n'avoit psùSk 
échappé, en fit mettre tout de suite quel- 
ques douzaines à la broche» et autant ea 
fricassées. On mangeoit, on rioit, on trinr 
quoit, on blasphémoit à plaisir, quand 
^ous les MouUahs, tous les Scheiks, totuf 



\ 



( 174 ) 

les Cadià, et tous les Imans de Schiraz, 
qui n'avoient pas appareojmedt rencontré 
les Santons, arrivèrent avec des ânes parés 
de guirlandes, de rubans et de sonnettes 
d'argent, et chargés de tout ce qu'il y 
avoit de meilleur dans le pays. Ils pré- 
sentèrent leurs offrandes au Calife, en le 
suppliant d'honorer leur ville et leurri 
mosquées de sa présence. Oh ! pour cela, 
dit Vathek, je m'en garderai bien ; j'ac- 
cepte vos présens, et vous prie de me 
laisser tranquille, car je n'aime pas à ré- 
sister à la tentation : mais comme il n'est 
pas décent que des gens aussi respecta^ 
blés que vous s'en retournent à pied, et 
que vous avez la mine d'être d'assez mau- 
vais cavaliers, mes eimuques auront la 
précaution de vous lier sur vos ânes, et 
prendront sur-tout bien garde que vous 
ne me tourniez pas le dos ; car ils savent 
l'étiquette. Il y avoit parmi eux de vi- 
goureux Scheiks, qui, croyant que Vathek 
étoit fou, en disoient tout haut leur opi- 
nion. Bababalouk prit soin de les faire 



( 175 ) 

gftiTotter à doubles cordes ; et piquant 
tous les âues avec des épines, ils parti* 
rent au grand galop, tout en ruant et s'en-» 
trechoquant de la manière la plus plat-* 
santé du monde. Nouronihar et son Ca* 
Kfe, jouissoient à renvi l'un de l'autre, de 
cet ind^ne spectacle; ils faisoient de 
grands éclats de rire, lorsque les vieillards 
tomboient avec leur monture dans le ruis- 
seau, et que les uns devenoient bmteux^ 
d'autres manchots, d'autres brèche-dents, 
ou pis encore. 

On passa deux jours fort délicieuse^ 
ment à Rocnabad, sans y être troublé 
jyar de nouvelles ambassades. Le troi* 
sième, on se remit en marche ; on laissa 
Schiraz à la droite, et on gagna une 
grande plaine d'où l'on découvroit, à l'ex- 
trémité de l'horiso», les noirs sommets de» 
montagnes d'Istakhar. 

A cette vue, le Calife et Nouronihar ne 
pouvant contenir les transports de leuf 
ame, sautèrent de la litière en bas, et fi- 
i:ent des exclamations qui étonnèrent ioufk 



( 17& )) 

èeûx qui étoient à portée de les entendre» 
Allons-nous dans des palais rayènnans de 
lumière, se demandoient-ils l'un l'autre,; 
ou bien dans des jardins plus délicieuse 
que ceux de Sheddad?^ — Les pauvrea 
mortels! c'est ainsi quils se répandoient 
en conjectures; l'abîme des secrets du 
Tout-Puissant leur étoit caché. 

Cependant les bons Génies qui veilloient 
encore un peu sur la conduite de Yathek, 
se rendirent dans le septième ciel au- 
près de Mahomet, et lui dirent: miséri- 
cordieux Prophète, tendez vos bras pro- 
pices à votre Vicaire, ou il tombera, san» 
ressource, dans les pièges que les Diveâ 
nos ennemis lui ont dressés : le Giaoùt 
l'attend dans l'abominable palais du ieft 
souterrein ; s'il y met le pied, il est perdu 
sans retour* Mahomet répondit avec in* 
dignation; il n'a que trop mérité detra 
laissé à lui-même ; toutefois> je. consens 
•que vous fassiez encore un effort pour le 
détourner de son entreprise» 

Soudain un bon Génie prit la figure 



( 177 ) 

d^ùn berger, plus renommé pour âa piété, 
que tous les derviches et les santons du 
pays ; il se plaça sur la pente d'une petite 
colline auprès d'un troupeau de brebis 
blanches, et commença à jouer sur un in- 
strument inconnu, des airs dont la tou- 
chante mélodie pénétroit Tame, réveilloit 
les remords, et chassoit toute pensée fri- 
vole. A des sons si énergiques, le soleil 
se couvrit d^un sombre nuage, et les eaux 
d^un petit lac plus claires que le crystal, 
devinrent rouges comme du sang. Tous 
ceux qui composoient le pompeux cortège 
du Calife furent attirés, comme malgré 
eux, du côté de la colliue ; tous baissèrent 
les yeux, et restèrent consternés ; chacun 
se reprochoit le mal qu'il avoit fait: le 
coeur battoit à Dilara ; et le chef des eu- 
nuques, d'un air contrit, demandoit pardon 
aux femmes de ce qu'il les avoit souvent 
tourmentées pour sa propre satisfaction. 

Yathek et Nouronihar pâlissoient dans 
leur litière, et se regardant d'un œil ha- 
gard, se reprochoient à eux mêmes» Fun^ 

N 






( 178 ) 

mille crimes des plus noirs, mille projets 
d'une ambition impie ; et l'autre, la déso- 
lation de sa famille, et la perte de Gui- 
chehrouz. Nouronihar croyoit entendre 
dans cette fatale musique, les cris de son 
père expirant, et Vathek, les sanglots des 
cinquante enfans qu'il avoit sacrifiés au Gi- 
aour. Dans ces angoisses, ils étoient tou- 
jours entraînés vers le berger. Sa physio- 
nomie avoit quelque chose de si imposant, 
que pour la première fois de sa vie, Vathek 
J)erdit contenance, tandis que Nouronihar 
se cachoit le visage avec les mains. La 
musique cessa ; et le Génie adressant la 
parole au Calife, lui dit: Prince insensé^ 
à qui la Providence a confié le soin des 
peuples ! est-ce ainsi que tu réponds à ta 
mission ? Tu as mis le comble à tes crimes ; 
te hâtes-tu à présent de courir à ton châ- 
timent ? Tu sais qu'au-delà de ces mon^ 
tagnes, Ëblis et ses Dives maudits tiennent 
leur funeste empire, et séduit par un ma- 
lin fantôme, tu vas te livrer à eux ! C'est 
ici le dernier instant de graçe qui t'est 



( 179 ) 

donné : abandonne ton atroce dessein, re- 
tourné sur tes: pas, rends Nouronihar à 
son père qui a encore quelque reste de vie, 
détruis la tour avec' toutes» ses abomina^ 
tions, chasse Carathis de tes conseils, sois 
juste envers tes sujets, respecte les Minis* 
très dii Prophète, répare tés impiétés par 
une vie exemplaire, et, au lieu dé passer tes 
jours dans les voluptés, va pleurer tés 
crimes sur les tombeaux de tes pieux ancê-* 
très ! Vois-tu ces nuages qui té cachent le 
soleil ? Au moment que cet astre reparoî- 
tra, si ton cœur n'est pas changé, le tenis 
de la miséricorde sera passé pour toi; 

Vathek, saisi de crainte et chancelant^ 
étoit sur lé point de se prosterner devant 
le berger qu'il sentit bien devoir être d'une 
nature supérieure à l'homme; mais son 
orgueil l'emporta, et levant audacieuse- 
ment la tête, il lui lança un de ses terribles 
regards. Qui que tu sois, lui dit-il, cesse 
de me donner d'iiiutiles avis. Ou tu veux 
me tromper, ou tiï te trompes toi-même : 
si ce que j'ai fait est aussi criminel que 

N 2 



( 180 ) 

tu le prétends, il ne sauroit y avoir pour 
moi un moment de grâce : j'ai nagé dans 
une mer de sang pour arriver à une puis- 
sance qui flsra trembler tes semblables; 
ne te flatte donc pas que je recule à la vue 
du port, ni que je quitte celle qui m'est 
plus chère que la vie et que ta miséricorde* 
Que le soleil reparoisse, quHl éclaire ma car*- 
rière, que m'importe où elle finira ! En di^ 
sànt ces mots, qui firent frémir le Génie lui^ 
même, Yathek se précipita dans les bras de 
Nouronihar, et commanda de forcer les 
chevaux à reprendre la grande route. 

On n'eut pas de peine à exécuter cet 
ordre ; l'attraction n'existoit plus, le soleil 
avoit repris tout l'éclat de sa lumière, et 
le berger avoit disparu en jettant un cri 
lamentable. La fatale impression de la 
musique du Génie, étoit cependant restée 
dans le cœur de la plupart des gens de 
Yathek ; ils se regardoient lès uns les 
autres avec effroi. Dès )a nuit même pre»^ 
que tous s'échappèrent, et il ne resta de ce 
nombreux cortège que le chef des eunuques, 



( lax ) 

quelques esclaves idolâtres» Dilara, et ua 
petit nombre d'autres femmes, qui suivoient 
comme elle la religion des Mages. 

Le Calife, dévoré par l'ambition de 
donner des loix aux intelligences téné- 
breuses, s'embarrassa peu de cette déser- 
tion. Le bouillonnement, de son sang 
Tempêchant de dormir, il ne campa plus 
comme à l'ordinaire. Nouronihar, dont 
l'impatience surpassoit, s'il se peut, la 
sienne, le pressoit de hâter sa marche, et 
pour rétourdir, lui prodiguoit mille ten«. 
dres caresses. Elle se croyoit déjà plus 
puissante que Balkis, et s'îmaginoit voir 
les Génies prosternés devant l'estrade de 
son trône. Us s'avancèrent ainsi au clair 
de la lune jusqu'à la vue de deux rochers 
élancés, qui formoient comme un portail 
à l'entrée du vallon dont l'extrémité étoit 
terminée par les vastes ruines d'I^takbar. 
Presqu'au sommet de la montagne, on 
découvroit la façade de plusieurs sépuU 
cres de Rois, dont les ombres de la nuit 
*«gmentgiçnt l'horreur. Oq pa^sa p«r 



( 183 ) 

deux bourgades presque entièrement dé- 
sertes. Il n'y restoit plus que deux ou 
trois foibles vieillards, qui, en voyant le» 
chevaux et les litières, se mirent à genoux, 
en s'écriant : Ciel ! est-ce encore de ces 
fantômes qui nous tourmentent depuis six 
mois ? Hélas ! nos gens efihtyés de ces 
étranges apparitions et du bruit qu'on en- 
tend sous les montagnes, nous ont aban- 
donnés à la merci des esprits malfaisans ! 
Ces plaintes sembloieut - de mauvais au- 
gure au Calife; il fit passer ses chevaux 
sur les corps des pauvres vieillards, et 
arriva enfin au pied de la grande terrasse 
de marbre noir. Là, il descendit de sa 
litière avec Nouronihar. Le cœur paipi* 
tant et portant des regards égarés sur 
tous les objets, ils . attendirent avec un 
tressaillement involontaire, l'arrivée du 
Giaour ; mais rien ne l'annonçoit encore. 
Un silence funèbre régnoit dans les airs 
et sur la montagne. La lune réfléchissoit 
sur la grande plate-forme l'ombre de« 
hautes colonnes qui s'élevoient de la ter- 



( 18» ) 

rasse presque jusqu'aux nues. Ces tristesl 
phares, dont le nombre pouvoit à peine se 
compter, n^étoient couv^ts d'aucun toit; 
et leurs chapiteaux, d'une architecture in-^ 
connue dans les annales de la terre, ser* 
voient de retraite aux oiseaux nocturnes, 
qui, alarmés à l'approche de tant de 
monde, s'enfuirent en croassant. 

Le chef des eunuques, transi de peur, 
Supplia Vathek de permettre qu'on allu- 
mât du feu, et qu'on prît quelque nourri-» 
ture. Non, non„ répondit le Calife, il 
n'est plus tems de penser à ces sortes de 
choses ; reste où tu es, et attends, mes 
ordres. En disant ces mots d'un toa 
ferme, il présenta la main à Nouronihar,. 
et montant les degrés d'une vaste rampe, 
parvint sur la terrasse qui étoit pavée de 
carreaux de marbre, et semblable à un 
lac uni, où nulle herbe ne peut croître. 
A la droite, étoient les phares rangés de^ 
vaut les ruines d'un palais immense, dont 
les murs étoient couverts de diverses fi- 
gures; en face, on voyoit les statues gi* 



( 184 ) 

gantesques de quatre animaux qui tenoient 
du griffon et du léopard, et qui inspiroient 
l'effroi ; non loin d'eux, on distinguoit à la 
clarté de la lune, qui donnoit particulière- 
ment sur cet endroit, des caractères sem* 
blahles à ceux qui étoient sur les sabres 
du Giaour ; ils avoient la même vertu de 
changer à chaque instant; enfin, ils se 
fixèrent en lettres arabes, et le Calife y 
lut ces mots: Yathek, tu as manqué aux 
conditions de mon parchemin ; tu méri- 
terois d'être renvoyé; mais en faveur de 
ta compagne et de tout ce que tu as fait 
pour l'acquérir, Eblis permet qu'on t'ouvre 
la porte de son palais, et que le feu sou- 
terrein te compte parmi ses adorateurs. 

A peine avoit-il lu ces mots, que la 
montagne contre laquelle la terrasse étoit 
adpssée trembla, et que les phares semblé* 
rent s'écrouler sur leurs têtes. Le rocher 
s'entr'ouvrit, et laissa voir dans son sein 
un escalier de marbre poli, qui paroissoit 
devoir toucher à l'abîme. Sur chaque de- 
gré étoient posés deux grands cierges, sem- 



( 185 ) 

blables à ceux que Nouronihar avoit vus 
dans sa vision, et dont la vapeur camphrée 
fi'élevoit en tourbillon sous la voûte. 

Ce spectacle, au lieu d'effrayer la fille 
de Fakreddin, lui donna un nouveau cou- 
rage ; elle ne daigna pas seulement pren* 
dre congé de la lune et du firmament, et 
6ans hésiter, quitta Fair pur de l'atmos- 
phère, pour se plonger dans des exhalai- 
sons infernales. La marche de ces deux 
impies, étoitfière et décidée. En descen- 
dant à la vive lumière de ces flambeaux, 
ils s'admiroient l'un l'autre, et se trou- 
voient si resplendissant qu'ils se croyoient 
des intelligences célestes. La seule chose 
qui leur donnoit de l'inquiétude, c'étoit 
que les degrés ne finissoient point. Comme 
ils se hâtoient avec une ardente impati- 
ence, leurs pas s'accélérèrent à un point 
qu'ils sembloient tomber rapidement dans 
un précipice, plutôt que marcher; à la 
fin, ils furent arrêtés par un grand portail 
d'ébène que le Calife n'eut pas de peine 
à reconnoitre; c'étoit là que le Giaour 



( 186 ) 

l'attendoit avec une clef d'or à la matn« 
Soyez les bien-venus en dépit de Maho< 
met et.de ton te. sa séquelle, leur dit-il avec 
son affreux sourire ; je vais vous intro:^ 
duire dans ce palais, ou vous avez si bien 
acquis . une place. En disant ces mots il 
toucha de sa clef la serrure émaillée^ et 
aussi-tôt les deux battans s'ouvrirent avec 
un bruit plus fort que le tonnerre de la 
canicule, et se refermèrent ^ avec le même 
bruit dès le moment qu'ils furent entrée. 
, Le Calife et Nouronihar se regardèrent 
avec étonnement, en se voyant dans un 
lieu qui, quoique voûté, étoit si spacieux 
et si élevé qu'ils, le* prirent d'abord pour 
une plaine immense. Leurs yeux s'accou- 
tumant enfin à la grandeur des objets, ils 
découvrirent des rangs de colonnes et 
des arcades qui alloient en diminuant, et 
se terminoient en un point radieux comme 
le soleil, lorsqu'il darde sur la mefr ses der-- 
niers rayons. Le pavé, semé de poudre 
d'or et de safran, exhaloit une odeur si 
subtile, qu'ils en furent comme étourdis* 



< 187 ) 

lis avancèrent cependant, et remarquè- 
rent une infinité de cassolettes où brû- 
loient de l'ambre gris et du bois d'aloës. 
Entre les colonnes, étoient des tables cou- 
vertes d'une variété innombrable démets et 
de toutes sortes de vins qui pétilloient dans 
des vases de crystaL Une foule de Ginns 
et autres Esprits follets des deux sexes^ 
dansoient lascivement par bandes au son 
d'une musique, quirésonnoit sous leurs pas. 
Au milieu de cette salle immense, se 
promenoit une multitude d'hommes et de 
femmes, qui tous, tenant la main droite sur 
le cœur, ne faisoient attention à nul 
objet, et gardoient un profond silence. 
Ils étoient tous pâles comme des cadavres, 
et leurs yeux enfoncés dans leurs têtes, 
ressembloient à ces phosphores qu'on ap- 
perçoit la nuit dans les cimetières. Les 
uns étoient plongés dans une profonde 
rêverie ; les autres écumoient de rage, 
et couroient de tous côtés comme des ti- 
gres blessés d'un trait empoisonné ; tous 
«'évitoient; et quoiqu'au milieu dune 



/ 



( 188 ) 

foule, chacun erroit au hasard, comme 
s'il eût été seul. 

A 1 aspect de cette funeste compagnie, 
' Vathek et Nouronihar se sentirent glacés 
d'effroi. Ils demandèrent arec importu- 
nité au Giaour, ce que tout cela signifioit, 
et pourquoi tous ces' spectres ambulans 
n'ôtoient jamais leur main droite de des- 
sus leur cœur ? Ne tous embarrassez pas 
de tant de choses à l'heure qu'il est, leur 
répondit-il brusquement, vous saurez tout 
dans peu ; hâtons-nous de nous présenter 
devant Eblis. Ils continuèrent donc à 
marcher à travers tout ce monde; mais 
malgré leur première assurance, ils n'a- 
voient pas le courage de faire attention 
aux perspectives des salles et des galeries, 
qui s'ouvroient à droite et à gauche : elles 
étoient toutes éclairées par des torches 
ardentes, et par des brasiers dont la 
flamme s'élevoit en pyramide, jusqu'au 
centre de la voûte. Ils arrivèrent enfin 
en un lieu, où de longs rideaux de brocard 
cramoisi et or, tomboient de toutes parts 



< 189 ) 

dans une confusion imposante. Là, on 
u'entendoit plus les chœu!*» de musique 
ni les danses ; la lumière qui y pénétroit, 
sembloit venir de loin. 

Vathek et Nouronihar se firent jour à 
travers ces draperies, et entrèrent dans un 
vaste tabernacle tapissé de peaux de léo- 
pards. Un nombre infini de vieillards à 
longue barbe> d'Afrites en complette ar- 
mure, étoient prosternés devant les degrés 
d'une estrade, au haut de laquelle, sur un 
globe de feu, paroissoit assis le redoutable 
£blis. Sa figure étoit celle d'un jeune 
homme de vingt ans, dont les traits no- 
bles et réguliers, sembloient avoir été 
flétris par des vapeurs malignes. Le dé- 
sespoir et l'orgueil étoient peints dans ses 
grands yeux, et sa chevelure ondoyante 
tenoit encore un peu de celle d'un ange de 
lumière. Dans sa main délicate, mais 
noircie par la fi)udre, il tenoit le sceptre 
d'airain, qui fait trembler le monstre Ou- 
ranbad, les Afrites, et toutes les puis- 
sances de l'abîme. 



( 190 ) 

A cette vue, le Galifé perdit toute con- 
tenance, et se prosterna la face contre 
terre. Nouronihar, quoiqu'éperdue, ne 
pouvoit sempêcher d'iadmirer la forme 
d'Ëblis» car elle s'étoit attendu à voir 
quelque géant effroyable. £blis, d'une 
voix plus douce qu'on auroit pu la supr- 
poser^ mais qui portoit la noire mélan- 
colie dans l'ame, leur dit : créatures d'ar- 
gile, je vous reçois dans mon empire; 
vous êtes du nombre de mes adorateurs ; 
jouissez de tout ce que ce palais offre à 
votre vue, des trésors des Sultans préada- 
mites, de leurs sabres foudroyans, et des 
talismans qui forceront les Dives à vous 
ouvrir les souterreins de la montagne 
de Caf, qui communiquent ' à ceux-ci. 
Là, vous trouverez de quoi contenter 
votre curiosité insatiable. Il ne tiendra 
qu'à vous de pénétrer dans la forteresse 
d'Aherman, et dans les salîtes d'Argenk 
où sont peintes toutes les créatures rai- 
sonnables, et les animaux qui ont' habité 
la terre, avant la création de cet être 



( 191 ) 

méprisable que vous appeliez le père d^ 
hommes, 

Yathek et Nouronibar se sentirent con^ 
soles et rassurés par cette barangue. Ils 
dirent avec vivacité au Giâour ; condui- 
sez-nous . bien vite au lieu où sont ces 
talismans précieux. Venez, répondit ce 
méchant Dive, avec sa grimace p^rfide^ 
venez, vous posséderez tout ce que notre 
maître vous promet, et bien davantage. 
Alors il leur fit enfiler une longue allée, 
qui commuuiquoit au tabernacle ; il mar- 
choit le premier à grands pas, et ses mal* 
heureux disciples le suivoient avec joie. 
Ils arrivèrent à une salle spacieuse, cou* 
verte d'un dôme fort élevé, et autour de 
laquelle on voyoit cinquante portes de 
bronze, fermées avec des cadenats d'acier. 
Il régnoit en ce lieu une obscurité funè- 
bre, et sur des lits d'un cèdre incorrup- 
tible^ étoient étendus les corps décharnés 
des fameux Rois préadamites, jadis Mor 
narques imiversels sur la terre. Ils avoi- 
eut encore aisez de vie pour connoitre 



( 192 ) 

leur déplorable état; leurs yeux cbnser^ 
voient un triste mouvement; ils s'entre- 
regardoient languissâmment les uns les au- 
tres, et tenoient tous la main droite sur 
leur cœur. A leurs pieds on voyoit des 
iascriptions qui retra<;oient les évènemens 
de leur règne, leur puissance, leur orgueil 
et leurs crimes. Soliman Raad, Soliman 
Daki, et Soliman dit Gian Ben Gian, qui, 
après avoir enchaîné les Dives dans les 
ténébreuses cavernes de Caf, devinrent si 
présomptueux, qu'ils doutèrent de la puis^ 
sance suprême, tenoient là un rang distin- 
gué; mais non pas comparable à celui du 
prophète Suleïman Ben Daoud. 

Ce Roi si renommé par sa sagesse, étoit 
sur la plus haute estrade, et immédiate- 
ment sous le dôme. Il paroissoit avoir 
plus de vie que les autres; et quoiqu'il 
poussât de tems en tems de profonds sou^ 
pirs, et tînt la main droite sur le cœur 
comme ses compagnons, son visage étoit 
plus serein ; et il sembloit être attentif au 
bruit d'une cataracte d'eau noire, qu'on 



( 193 ) 

«itrévoyoît à travers l'une des portes qui 
étoit grillée. Nui autre bruit n'interrom- 
poit le silence de ces lieux lugubres. Une 
rangée de vases d'airain, entouroit l'es- 
trade. Ote les couvercles de ces dépôts 
cabalistiques, dit le Giaour à Yatbék; 
prends les talismans qui briseront toutes 
ces portes de bronze, et te rendront le 
maître des trésors qu'elles renferment et 
des Esprits qui en ont la garde. 

Le Calife, que cet appareil sinistre 
avoit entièrement déconcerté, s'approcha 
des vases en chancelant, et pensa expirer 
de terreur, quand il entendit les gémisse- 
mens de Suleïman, que dans son trouble 
il avoit pris pour un cadavre. Alors, 
une voix sortant de la bouche livide du 
prophète, articula ces mots : Pendant ma 
vie, j'occupai un trône magnifique. A 
ma droite étoieiit douze mille sièges d'or, 
où les patriarches et les prophètes écou- 
toient ma doctrine; à ma gauche, les 
sages et les docteurs, sur autant de trônes 
d'argent, assistoient à mes jugemens. 

G 



( 194 ) 

Tandis que je rendois ainsi justice à des 
multitudes innombrables, les oiseaux vol- 
tigeant sans cesse sur ma tête, me ser- 
voient de dais contre les ardeurs du so- 
leil. Mon peuple fleurissoit ; mes palais 
s'élevoient jusqu'aux nues: je bâtis un 
temple au Très-Haut, qui fut la merveille 
de l'univers ; mais je me laissai lâchemiUEit 
entraîner par l'amour des femmes, et par 
une curiosité qui ne se bornoit pas aux 
choses sublunaires. J'écoutai les conseils 
d'Aherman, et de la fille de Pharaon ; 
j'adorai le feu et les astres ; et quittant la 
ville sacrée, je commandai aux Génies 
de construire les superbes palais d'Istak- 
har et la terrasse des phares, dont cha- 
cun étoit dédié à une étoile. Là, pen^ 
dant un tems, je jouis en plein de la 
splendeur du trône et des voluptés : non- 
seulement les hommes, mais encore les 
Génies m'étoieot soumis. Jecommençois 
à croire, ainsi que l'ont fait ces malheureux 
Monarques qui m'entourent, que la ven- 
geance céleste étoit assoupie, lorsque la 



( 195 ) 

foudre brisa mes édifices et me précipita 
dans ce lieu. . Je n'y suis cependant pas^ 
comme tous ceux qui l'habitent, entière- 
ment dépourvu d'espérance. Un ange de 
lumière m'a fait savpir, qu'en considération 
de la piété de mes jeunes ans, mes tour* 
mens finiront lorsque cette cataracte (je 
compte les goûtes) cessera de couler; 
mais hélas! quand arrivera ce tems si dé- 
siré? Je souffre, je souffre, un feu impi^ 
toyable dévore mon cœur. 

En disant ces mots, Suleïman éleva ses 
deux mains vers le ciel en signe de sup- 
plication, et le Calife vit que son sein étoit 
d'un crystal transparent, au travers duquel 
on découvroit son cœur brûlant dans les 
flammes. A cette terrible vue, Nouronihar 
tomba comme pétrifiée dans les bras de 
Vathek : ô Giaour ! . s'écria ce malheureux 
prince, dans quel lieu nous ais-tu conduits ? 
Laisse-nous en sortir ; je te tiens quitte de 
toutes tes promesses. O Mahoniet! n'y 
a-1ril plus de miséricorde pour nous? Non, 
il n'y en a plus, répondit le malfaisant 

o2 



m 



( m ) 

Divé ; sache que c'est ici ie séjour du dé- 
sespoir et de la vengeance ; ton cœur sera 
embrasé comme celni de tous les adora* 
teurs d' Ëblis ; peu de jours te sont donnés 
avant ce terme fatal, employe-les comme 
ta voudras; couche sur des monceaux 
d'or, commande aux puissances infer- 
nales; parcours tous ces immepses sou« 
terreins à (on gré, aucune porte ne te sera 
fermée; quant à moi j^ai rempli ma mis^ 
sion, et je te laisse à toi-même. £n disant 
ces mots, il disparut. 

Le Calife et Nouronihar restèrent dans 
un accablement mortel ; leurs larmes ne 
pouvoient couler ; à peine pouvoient-ils se 
soutenir; enfin, ils se. prirent tristement 
par la main, et sortirent en chancelant de 
cette salle funeste, sans savoir où ils al- 
loient. Toutes les portes sWvroi^it à 
leur approche, les Dives se prostemment 
devant leurs pas, des magasins de richesses 
ae déployoient à leurs yeux ; maïs ih n'u- 
voient plus ni curiosité, ni orgueM, m ava- 
rice. Avec ia même ind^rence, ils eur 



( m ) 

teadoi^nt les chœurs d^ Giaus, et voyoient 
les superbes repas qui étoient étalés de 
toutes parts* Ils alloient errant da 
chambre eu chambre^ de salle eu salle, 
d'allée eu allée, tous autant de lieuse 
sans bornes et sans limites, tous éclairés 
par une sombre lueur, tous parés avec la 
^nêqie triste magnificence, tous parcourus 
par des gens qui cberchoient le repos et 
le soulagement; mais qui le cberchoient 
en vain, puisqu'ils portoient par-tout un 
^<eur tourmenté dans les flammes^ Evités 
de tous ces malheureux qui, par leurs re- 
gards, sembloient se dire les uns aux au 
très, c'est toi qui m'as séduit, c'est toi qui 
m'as corrompu, ils se tenoient à l'écart, 
et attendoient dans une angoisse eBVoyable 
le moment qui devoit les rendre sembla^ 
blés à ces objets de terreur. 

Quoi I disoit Nouronihar, le tems vien- 

drart-il que je retirerai ma main de la 

tienne? Ahl disoit Yathek, mes yeux' 

cesseront-ils jamais de puiser à longs traits 

4a volupté dans les tii^is? Les doux mo- 



( 198 ) 

• • • 

mens que nous avons passés ensemble me 
seront-ils en horreur ? Non, ce n^est pas 
toi qui m'as mené dans ce lieu détestable, 
ce sont les principes impies par lesquels 
Carathis a perverti ma jeunesse, qui ont 
causé ma perte et la tienne : ah ! que du 
moins elle souffre avec nous ! En disant 
ces douloureuses paroles, il appella un 
Afrite qui attisoit un brasier, et lui or- 
donna d'enlever la princesse Carathis du 
palais de Samarab, et de la lui amener. 

Après avoir donné cet ordre, le Calife 
et Nouronihar continuèrent de marcher 
dans la foule silencieuse, jusqu'au mo- 
ment où ils entendirent parler au bout 
d'une galerie. Présumant que c'étoient 
des malheureux qui, comme eux, n avoient 
pas encore reçu leur arrêt final, ils se 
dirigèrent d'après le son des voix, et 
trouvèrent qu'elles partoient d'une petite 
chambre quarrée, où siir des sofas 
étoient assis quatre jeunes hommes de 
bonne mine et une belle femme, qui s'en* 
tretraoient tristement à la lueur d'uoe 



( 199 ) 

lampe. Ils aroient tous Tair morne et 
abattu, et deux d'entr'eùx s'embf itssoi^t 
avec beaucoup d'attendrissement. En 
voyant entrer le Calife et la fille de Fak^ 
reddin, ils se levèrent civilement, les sa- 
luèrent et leur firent place. Ensuite» ce- 
lui qui paroissoit le plus distingué de la 
compagnie, s'adressant au Calife, lui dit: 
Etranger, qui sans doute êtes dans la 
même horrible attente que nous, puisque 
vous ne portez pas encore la main droite 
sur votre ccÈur; si vous venez passer avec 
4I0US les affreux momens qui doivent s'é* 
couler jusqu'à notre commun châtiment, 
daignez nous raconter les aventures qui 
vous on conduit en ce lieu fatal, et nou9 
vous apprendrons les nôtres, qui ne méri- 
tent que trop d'être entendues. Se retracer 
ses crimes, quoiqu'il ne soit plus tems de 
s'en repentir, est la seule occupation qui 
convienne à des malheureux tels que nous. 
Le Calife et Nouronibar consentirent 
à cette proposition, et Vathek prenant la 
parole, leur fit, non sans gémir, un sia? 



m^massssÊSir-' 



( 200 ) 

cère récit de tout ce qui lui étoit anÎTé. 
Lorsqu'il eut fini sa pénible narration, 
le jeune homme qui lut avoit parlé, com* 
niença la sienne de la manière suivante. 

Histoire des deux Princes amis, Alasr 
et Firoti2, enfermés dans le palais du feu 
souterreiû. 

Histoire du Prince Barkiarokh enfermé 
dans le palais du feu souterrein. 

Histoire du Prince Kalilah et de la^ 
Princesse Zulkais, enfermés dans le palais 
du feu souterrein. 

Le troisème Prince en étoit au milieu 
de son récit, quand il fut interrompu par 
un bruit qui fit trembler et entr'ouvrir 1» 
Toute. Bientôt après, une vapeur se dis* 
dpant peu-àpeu, laissa voir Carathis sur 
le dos de FAfrite, qui se plaignoit horri** 
blement de son fardeau. £lle sauta à 
terre, et s'approchant de son fils, lui dit ; 
que fais4u ici dans cette petite chambrée 
Voyant que les Dives t'obéissent, j'ai 
cru que tu étois placé sur le trône des^ 
Rois préadamites. 



(201 ) 

Femme exécrable» répoodit lé Calife, 
que maudit soit le jour où tu m'as mis 
au monde I Va, suis cet Afrite, qu'il te 
mène dans la salle do prophète Suleïman; 
là, tu apprendras à quoi est destiné ce 
palais qui t'a paru si désirable, et combien 
je dois abhorrer les connoissances impieer 
que tu m'as données! La puissance où 
tu es parvenu, t'a-t-elle troublé la tête, 
répliqua Càrathis? Je ne demande pas 
mieux q^ie de rendre mes hommages à 
Suleïman le prophète* Il faut pourtant 
que tu saches que TAfrite m'ayant dit 
ique ni toi ni moi ne retournerions à Sa- 
marah, je l'ai prié de me laisser mettre 
ordre à mes affaires, et qu'il a eu la po- 
litesse d'y consentir. Je n'ai pas manqué 
de mettre à profit ces instans ; j'ai mis 
le feu à notre tour où j'ai brûlé tout 
vifs * les muets, les négresses, les tor- 
pèdes et les serpens, qui pourtant m'ar 
Toient r^du beaucoup de service», et j'en 
aurois fait autant aii grand visir, s'il ne 
m'avoit pas abandonnée pour MotavekeL 



( 202 ) 

Quant à Bababalouk, qui avoit eu la sottise 
de retourner à Samarah, et tout bonne- 
ment d y trouver des maris pour tes fem- 
mes, je l'aurois mis à la torture, si j'en 
aTois eu le tems ; mais comme j'étois 
pressée, je Tai seulement fait pfendre, 
après lui avoir tendu un piège pour l'atti- 
rer auprès de moi, aussi bien que les 
femmes; je les ai fait enterrer toutes vi- 
vantes par mes négresses, qui ont ainsi 
employé leurs derniers moinens à leur 
grande satisfe,ction. Pour Dilara, qui 
m'a toujours plu, elle a montré son esprit 
en se mettant ici-près au service d'un 
Mage, et je pense qu'elle sera bientôt des 
nôtres. Vathek étoit trop consterné pour 
exprimer l'indignation, que lui eau soit un 
tel discours; il ordonna à l'Afrite d'é- 
loigner Carathis de sa présence, et resta 
dans une morne rêverie que ses compag- 
mons n'osèrent troubler. 

Cependant Carathis pénétra brusque^ 
ment jusqu'au dôme de Suleïman, et sans 
faire la moindre attention aux soupirs du 






( 203 ) 

Prophète, elle ôta audacieusement les 
couvercles des vases, et s'empara des ta- 
lismans. Alors, élevant une voix telle 
qu'on n'en avoit jamais entendue dans ce 
funeste Empire, elle força les Dives à lui 
monter les trésors les plus cachés, les 
antres les plus mystérieux, que l'Afrite 
lui-même n'avoit jamais vus. Elle passa 
par des descentes rapides qui n'étoient 
connues que d'Eblis et des plus puissans 
de ses favoris, et pénétra au moyen de ces 
talismans jusqu'aux entrailles de la terre 
d'où souflSe le Sansar, vent glacé de la mort : 
rien n'eifrayoit son cœur indomptable* 
Elle trou voit cependant chez tout ce monde 
qui portoit la main droite sur le cœur, une 
petite singularité qui ne lui plaîsoit pas* 

Comme elle sortoit d'un des abîmes, 
Eblis se présenta à ses regards. Mais 
malgré tout l'imposant de sa majesté, elle 
ne perdit pas contenance, et lui fit même 
son compliment avec beaucoup de pré* 
sence d'esprit : ce superbe Monarque lui 
répondit; Princesse, dont les connois- 
tances et les crimes méritent un siège 



'^W. 



( 204 ) 

élevé dans mon empire, vous faites bien 
d employer le loisir qni vons reste ; car les 
flammes et les tourmens qui s'empareront 
bientôt de votre cœur, vous donnerontasses 
d'occupation. £n disant ces mots, il disr 
parut dans les draperies de son tabernacle. 

Carathis resta un peu interdite ; mais 
résolue d'aller jusqu'au bout, et de suivre 
le conseil d'£blis, elle rassembla tous les 
chceurs des Ginns, et tous . les Dives pour 
en recevoir les hommages. Elle mar^ 
choit ainsi en triomphe, à travers une 
vapeur de parfums, et aux acclamations 
de tous les Esprits malins dont la plupart 
étoient de sa connoissance* Elle alloit 
même détrôner un des Solimans pour 
prendre sa place, quand une voix sortant 
de l'abime de la mort, cria: tout est ac- 
compli ! Aussi-tôt le front orgueilleux de 
l'intrépide Princesse se couvrit des rides de 
l'agonie ; elle jetta un cri douloureux, et 
son cœur devint un brasier ardent : elle y 
porta la main pour ne l'en retirer jamais. 

Dans cet état -de délire, oubliant se» 
vues ambitieuses et sa soif des sciaices 



( 205 ) 

qui doivent être cachées aux mortels, 
elle reuversa les offraudee que les Gdnns 
avoient déposées à ses pieds ; et maudissant 
l'heure de sa naissance et le sein qui Tavoit 
portée, elle se mit à courir pour ne plus 
s'arrêter, ni goûter un moment de repos. 
. A peu près dans ce méaie tems, la 
même voix avoit annoncé au Calife, à 
Nourooîhar, aux quatre Princes et à la 
Princesse, le décret irrévocable. Leurs 
cœurs venoient de s'embraser ; et ce fut 
alors qu'ils perdirent le plus précieux de$ 
dons du ciel, Vespéramce/ Ces Malheu- 
reux s'étoient séparés en se jettant des 
regards furieux. Vathek ne voyoit plus 
dans ceux de Nouronibar que rage et que 
vengeance; elle ne voyoit plus dans les 
siens qu'aversion et désespoir. Les deux 
Princes amis, qui, jusqu'à ce moment, 
s'étoient tenus tendrement embrassés, s'é- 
loignèrent l'un de l'autre en frémissant. 
Kalil^ et sa sœur se firent mutuellement 
un geste d'imprécation. Tous, par des con- 
torsions effroyables et des cris étouffés, 
témoignèrent l'horreur qulls avoient d'eux- 



( 206 ) 

mêmes; tousse plongèrent dans la foule 
maudite pour y errer dans une éternité 
de peines. 

Tel fut, et tel doit être le châtiment des 
passions effrénées, et des actions atroces ; 
telle sera la punition de la curiosité aveugle, 
qui veut pénétrer au-delà des bornes que 
le Créateur a mises aux connoissances hu- 
maines; de l'ambition, qui, voulant ac- 
quérir des sciences réservées à de plus 
pures intelligences, n'a^cquiert qu'un or- 
gueil insensé, et ne voit pa» que l'état 
de l'homme est d'être humble et ignorant. 

Ainsi le Calife Vathek^ qui, pour par- 
venir à une pompe vaine, et à une puis- 
sance défendue, s'étoit noirci de mille 
crimes, se vit en proie à des remords, et à 
une douleur sans fin et sans borne; ainsi 
l'humble, le méprisé Gulchenrouz, passa 
des siècles dans la douce tranquillité et le 
bonheur de l'enfance. 

fIN. 



NOTES. 



Page !• 

(yALIFE. — Chez les Mahometaos, ce titre cqiht 
prend à la fois les caractères réunis de prophète, dç 
prêtre et de roi ; on l'emploie pour signifier le Vi- 
caire de Dieu sur la terre. Etat de F Empire Ot' 
toman, par Habesci^ pag. 9- D^Herbelot, page 9B5. 

Expirait à r instant. — ^L'auteur du Nighiaristan 
nous a conservé ce qui vient à l'appui de ce récit ; 
et il n^y a aucune histoire de Vathek, dans laquelle il ne 
soit fait mention de son œil teiriUe. 



Page 2. 

Omar Ben Abdalazix.'^Cdiife distingué de tous 
les autres par sa tempérance, et son abnégation de 
lui<*mème ; au point que l'on croit qu'il a été reçu 



( â08 ) 

dans le sein de Mahomet, en récompense de son 
abstinence exemplaire dans un siècle de corruptioné 
D'Herbelot,p.6QO. 

Page 2. 

Samarah. — ^Ville de l'Iraque Babylonien, que Ton 
suppose avoir été «tuée sur le lieu où Nembrod 
éleva sa tour. Khondemir raconte dans la vie de 
Motassem, que ce prince quitta Bagdad, pour ter^ 
miner les disputes qui s'élevoient continuellement 
entre les habitans de cette ville et ses esclaves Turcs ; 
et qu'il choisit une situation dans la plaine de Catoul, 
où il bâtit Samarah. On assure qu'il avoit dans les 
écuries de cette ville cent trente mille chevaux pies, 
dont chacun transporta par son ordre un sac de terre 
sur la place qu'il avoir choisie : de cet amas énorme, 
il se forma une élévation qui domiooit sur toute l'é- 
tendue de Samarah, et qui servit de base à son mag- 
nifique palais. D^Herbelotfp. 752. 808. 985. Anec- 
dotes Arabes, p> 413. 

Page 3. 

Mani. — Cet artiste, vivoit sous le règne de Scha- 
bur ou Sapor, fils d'Ardschir Babegan; il étoit 
peintre et sculpteur de profession, et il fut fondateur 
de la secte des Manichéens. J)'HerbeIotj p. 548* 



( 209 ) 
Page 23. 

Giaour. — Infidèle. 

Page 67. 

Fases de Fagfouri, — Les Orientaux donnent le 
nom de Fagfouri à la porcelaine de la Chine, dont 
l'usage est ancien chez eux. Ils appellent TEm- 
pereur de la Chine, le Fagfour. 

Page 58. 

Istakhar. — Cette cité étoit, sous les Rois des trois 
premières races, l'ancienne Persépolis, la capitj^e de 
la Perse. L'auteur du Lebtarikh dit que Kischtab 
établît son séjour dans cette ville; qu'il y érigea 
plusieiu's temples consacrés a l'élément du feu ; et 
qu'il fit creuser pour lui-même et ses successeurs, 
dçs sépulcres dans les rochers de la montagne qui 
communiquoient a la cité. Les ruines qui restent en- 
core des colonnes et des figures mutilées par Alex- 
andre et par le tems, prouvent évidemment que ces 
anciens potentats avoient choisi cet endroit pour leur 
sépulture. D'Herbelot,p. 59,7. 

Gian Ben Gian. — Par ce nom l'on distinguoit le 
Monarque de cette espèce d'êtres appelles par les 
Arabes, Gian ou Ginn^ qui signifie Génie, et par 

P 



( 210 ) 

les Tarikhs Thabari, Feez ou Fées. Gian Ben Gian 
étoit fameux par ses expéditions gueiTièi:es et par ses 
édifices prodigieux ; suivant les écrivains Orientata^ 
les pyramides d'Egypte étoient au nombre des monu- 
mens de sa puissance: D'Herbelot, p. 396. Bailly, 
sur r Atlantide, p. 147. 

Page 58. 

Sultans préadamites,—'Ce8^ou3i€iue8j qui étoient 
au nombre de soixante-douze, avoient chacun le 
gouvernement d'une espèce distincte d'êtres raison- 
nablesy antérieurs à l'existence d'Adam. D^Herbelot, 
p. 820. 

Page 60. 

Rocnabad. — Le ruisseau de ce nom coule près 
de la cité de Schiraz. Ses eaux sont extraordinaire- 
ment claires et limpides^ et ses bords couverts de la 
plus belle verdure. 

Page 62. 

Pots remplis de scorpions. — Cétoit un goût de 
famille. Motavekel, frère de Vathek, régaloit ses 
convives de la même manière^ et s'amusoit aussi quel- 
quefois à. les guérir avec une thériaque admirable. 
D'Herbelot,p.64l. 



( 211 ) 
Page 63. 

MouUahs. — ^Titre de ceux ([in, chez les Maho- 
métans, étoient élevés dans la science des loix : de 
leur classe on tiroit les Juges des vUles et des pro- 
vinces. 

Page 64. 

Bababaloukf hors de luL — L'énormité de la 
pro&nation de Vathek ne peut être sentie que par un 
Musulman orthodoxe, ou par quelqu'un qui se rap^ 
pelle l'ablution et la prière indispensablement requi- 
ses en pareil cas, Disc, préL de Sale, p. 139* 
Alcoran, chap. iv. Etat de P Empire Ottoman^ par 
Habesci, p. 93^ 

Page 66. 

Vin de Schiraz.^^SclÔTRZ étoit fameuse dans 
l'Orient pour les vins de différentes sortes qu'elle 
produisoity mais particulièrement pour son vin rouge, 
qui étoit même plus estimé que le vin blanc de 
Kirmith. 

Page 80. 

Des fours d^argent.—'hes fours portatifs étoient 
une partie des meubles des voyageurs Orientaux. 

p 2 



f ^ 



( 212 ) 

S. Jérôme (CompL 8. 10.) les a décrits en détail. 
Ceux des Califes étoient de la même espèce^ excepté 
qu'ils étoient d'argent au lieu de cuivre. 



Page 82. 

La Simorgue. — C'est cet oiseau chimérique de 
l'Orient dont on dit tant de merveilles. Il avoit non- 
seulement le don de la raison, mais encore la con- 
noissance de toutes les langues ; d'où l'on peut con- 
clure que c'étoit un génie sous une forme empruntée. 
Cette Créature rapporte d'elle-même qu'elle avoit vu 
douze fois commencer et finir la grande révolution de 
sept mille ans, et que dans sa durée, le monde avoit 
été sept fois dépeuplé, et sept fois repeuplé d'habi- 
tans. Elle est représentée comme la grande amie 
de la race d'Adam et l'ennemie la plus décidée des 
Dives. Tahamurath et Aberman apprirent par ses 
prédictions tout ce qui devoit leur arriver, et ils ob- 
tinrent qu'elle les seçonderoit dans toutes leurs entre- 
prises. Tahamurath, armé du bouclier de Gian Ben 
Gian, fut porté dans l'air par la Simoi^ue, au dessus 
du noir désert jusqu'à la montagne de Caf ; le panache 
de son casque étoit de plumes tirées du sein de cet 
oiseau. La Simorgue étoit invulnérable dans les 
combats^ et les héros qu'elle favorisoit, ne manquoient 
jamab de réussir. Quoiqu'elle fût assez pui3sante 



( 213 ) 

pour exterminer ses ennemis, cependant on supposait 
(]^'il lui etoit interdit d'exercer ce fktal pouvoir. Pour 
prouver combien la Providence est universelle danr 
le soin qu'elle prend des êtres créés, Sadi prétend 
que la Simorgue, malgré sa masse immense, n'est 
pas embarrassée de trouver sa nourriture sur la mon- 
tagne de Caf. 

Page 83. 

Afrites, — C'étoit une espèce de Méduse ou La- 
mie, le plus terrible et le plus cruel de tous les or- 
dres des Dives. 

Page 89. 

» 

Le Bismillah, — Ce mot qui est à la tête de tous les 
chapitres de l'Alcoran, excepté le dix-neuvième, sig- 
nifie " Au nom du Dieu très-misericordieux." 

Page 91, 

Tecthravan. — Cette espèce de trône ambulant, 
quoique plus commun à présent que dans le'tems de 
Vatfaek, est encore réservé aux personnes du premier 
rang. 

Page 104. 

Des petits plats ^abomination. — Le Koran a 
établi diverses distinctions, relativement a différentes 



( 214 ) 

sortes de nourritures ; et beaucoup de Mahometans 
sont assez scrupuleux pour ne pas toucher à la viande 
de certains animaux, sur lesquels on a oublié de pro- 
noncer, à Finstant de leur mort, le mot de Bismillah. 
Cérém, Relig. vol, vii.p. 110. 

Page 105. 

Périses. — Le mot Péri, dans le langage Persan, 
ngnifie cette belle race.de créatures qui tient le milieu 
entre les anges et les hommes. Les Arabes lui don- 
nent le nom de Ginn ou Génie ; et nous, d'après les 
Persans, peut-être, nous les appelions. Fées. 

• 

Page 109. 

Meignoun et Leilah. — Ces personnages sont con- 
sidérés par les Arabes comme les amans les plus 
beaux et les plus fidèles. Leurs amours ont été 
célébrées avec tous les charmes de la poésie dans 
les différentes langues de l'Orient. 

Page 111. 

Shaddukian et Ambreàbad, — Deux villes des 
Péries dans la région imaginaire du Ginnistan. La 
première signifie plaisir et désir, l'autre la cité de 
V ambre gris. Voyez Richardson, Dissert. jp. 169- 



( 215 ) 
Page 118. 

Sombres Goules. — Goul ou Ghul en Arabe, sig- 
nifie un objet épouvantable qui ôte l'usage des sens. 
D&-là dérive le nom de ces espèces de monstres qui 
passent pour habiter les forêts, les cimetières et les 
autres places désertes. On raconte que non-seule- 
ment ils déchirent les vivans, mais encore déterrent les 
morts pour les dévorer. Richardson, dissert, 
p. 174 274.. Voyez amsi l'histoire d'Aminé dans 
les Mille et une Nuits. 

Page 120. 

« 

Plumes de héron toutes étincelantes d^escarboucles. 
Les panaches de cette sorte font partie des attributs 
de la royauté Orientale, 

Page 121. 

Uescarboucle de Giamchid. — Ce puissant Poten- 
tat étoit le quatrième souverain de la Dynastie des 
Pischadians, et frère ou neveu de Tahamuratli. Son 
vrai nom étoit Giam ou Gem et Shilo, lequel, dans 
l'ancien langage Persan, signifie le soleil, allusion faite 
à la majesté de sa personne, ou à la splendeur de ses 
actions. 

Page 132. 

Ites cris de Leillah-Illeilah, — Ces exclamations 
qui signifient, " Il n'y a point d'autre Dieu que Dieu," 



( 216 ) 

étoient ordinairemeiit prononcées avec une violente 
émotion. 

Page 136. 

Monkir et Nekir. — Deux Anges noirs^ dont la 
fonction est d'examiner tous les objets concernant la 

foi. Quiconque ne leur rend pas un compte satisfai- 

• . » y, . - 

sant est certain d'être assommé avec des massues de 
fer rouge^ et d'être tourmenté au-delà de toute expres- 
sion. Cérém, Relig. vol. V. p. 101, voL Vil. p. 59. 
68.118. 

Le pont fatal, — Ce pont, nommé Al Siral en 
Arabe, est supposé s'étendre sur le goufire infernal. 
On le représente aussi mince que le fil d'une toile 
d'araignée et anssi étroit que le tranchant de la lame 
d'un sabre. 

Page 167. 

Eblis — D'Herbelot prétend que ce mot est une 
corruption du grec diabolos. C'est une qualifica- 
tion conférée par les Arabes au premier des Anges 
apostats. Il est représenté comme exilé dans les ré- 
gions infernales, pour avoir refusé a Adam l'hommage 
que dieu lui même avoit ordonné de lui rendre«- 

Page 181. 
Balkis. — Nom de la reine de Saba,^ venue 'du Midi 



( 217 ) 

pour admirer la sagesse et la gloire de Salomon. 
Le Koran représente cette reine, comme une adora- 
tice du feu. Salomon a la réputation de l'avoir non- 
seulement traitée avec magnificence, mais encore de 
l'avoir honorée de son trône et de son lit. Alcorariy 
chap, xxvii, et les notes de Sale. D'Herbelot, 
p. 182. 

Page 189. 

Oaranbad,—:'Ce monstre est représenté sous la 
figure d'une hydre sûlée, très-féroce, et tient de la 
classe des Rakshes, qui font leur nourriture ordinaire 
de serpens et de dragons ; du Soham, qui a la tête d'un 
cheval, avec quatre yeux, et le corps d'un dragoi^ 
couleur de feu ; du Syl, espèce de basilic^ avec une 
face humaine si efiiroyable, qu'aucun mortel ne peut 
supporter son aspect; et ainsi des autres. Voyez le^ 
titres respectifs dans le Dictionnaire Persan, Arabe 
et Anglois de Richardson. 

Page 190. 

La forteresse d'jàherman. — Dans la mythologie 
Orientale, Aherman est réputé le démon de la dis- 
corde. Les anciens romans de la Perse abondent en 
descriptions de cette forteresse, dans laquelle les dé- 
mons subalternes s'assemblent pour recevoir les loix 
de leurs princes ; et c'est ck-là qu'ils partent pour 



( 218 ) 

■i^er Aeicer leur maUce niT toute la terre. D'Herbe- 
lot.p.U. 

Page 190. 

Les salla ^Argenk. — lies saUea die ce puissan^ 
Dire qui régnoit dans les mcHitagoes de Caf, conte- 
notent les statues des soixante-douze Solimans, et les 
portraits des différent»» créatures qui leur étoient at- 
iichées. Aucune d'entr'eUes n'uvoit nen qui ressem- 
bllt « la figure humaine. 



riN DES NOTES 












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